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Marseille 2007/2008 Remi Guerrin |
« La Mer au
milieu des terres »
À l’origine de
notre civilisation occidentale, comme un berceau, un lieu de nativité
étonnante, ce bassin Méditerranéen, cette mer aux brassages multiples, métissée
par les peuples, les cultures différentes et les vagabondages de la mémoire.
Dans l’Antiquité,
les Égyptiens la nommaient « grand vert », d’autres peuples l’appelaient « la
mer blanche » … Son ciel est si bleu pourtant qu’il se confond avec son eau
profonde et calme. La mer bleue, l’appelle-t-on ainsi aujourd’hui ?
Quelques
passants, des bateaux de pêche amarrés ; plus loin, les immeubles blancs,
hauts, larges, percés de fenêtres ressemblent à des navires gigantesques,
entourent les rivages, cernent le contour des plages.
Les pieds des
néréides laissent sur le sable des traces agiles, les fritures argentées
brillent dans les paniers qui reposent sous les croisées d’ogives aux
variations brodées.
Méridionales
migrations, sur cette terre aux villes lasses parfois, vieillissantes également
où se cachent la nuit, dans les ports, aux creux chauds des alignements de
conteneurs entassés sur les quais, des clandestins, des fugitifs.
Certaines
constructions antiques, aux pierres d’opacités usées habillées de grâce et de
lueur ébauchent une singulière présence à l’haleine verdoyante, alguée de
posidonie. Quelques colonnades poétiques s’élèvent encore… On se croirait en
terre de Luz aux grappes scintillantes : la cité bleue où ce qui est caché sous
l’amandier est dépouillé par la lumière.
Nuit pleine,
humide, d’embruns en lieux clos ou d’histoires suspendues là où les friches et
les industries développent leurs marelles égarées,cathédrales marines,
citadelles géométriques..
Un film raconte,
déroule sa bobine, s’arrête comme un bateau à l’embossage. Des négatifs coupés,
griffés ou calligraphiés ; les cales sèches, vides et immenses. Dehors, dedans.
Hangars aux silhouettes fugitives. Un écho spontané répond à la mouette, la
fille se tourne sans fin et tourne encore, danse sur la lagune… Le regard
semble se morceler… Mais en fait ce n’est qu’une confrontation.
Quelques formes
pâles virevoltent sur les vagues, fantômes au cœur de la bruine, des bruits
sourds, corne de brume, marteaux tapés à intervalle réguliers. Le brouillard
tombe. Il faudra se diriger au compas, en pleine mer, au cœur de ce silence
enveloppant et total. Puis, lorsque tu arriveras vers la plage, tu percevras
les jeux des enfants dans l’eau salée. Nuages longs sur le ciel, effluves
transportés par le grain violent levé tout à coup ; la baie chavire au pied du
volcan, il porte en lui la morsure du temps…
Par la fenêtre du
train, je m’obstinais à regarder, je ne voyais que des lambeaux de mémoires :
pierres de lave, sculptures antiques, brisées, bateaux échoués ; et des
souvenirs : négatifs sur plaque de verre vendus sur les marchés, cartes
postales trop colorées, et ces albums qui racontent le mystère de la mer
glissant sans fin sur les digues, déplaçant notre vision.
Un jeu de rôle,
un jeu drôle, un jeu de môle enchevêtré d'effigies et de plaques de films ; de
caprices visuels ou d'iconographies réduites, de photographies austères ou
d’images au caractère malicieux. Se présenter, se représenter : la fiction, le
leurre de l’absurdité, les miroirs hydrocéphales. Trouver son identité dans le
déplacement… La vitesse, capter les flots iridescents qui s'attisent dans le
champ visuel, et toujours le voyage, le départ, le retour…
J’imagine ici la
violence fulgurante de Méduse dans sa colère, elle qui se moquait de tous et de
toutes ; la force de la mort, l’ombre des peurs… La lutte contre l’enchaînement
de nos illusions, la perplexité face au regard qui pétrifie, les narcissiques
scléroses. Créer, c’est aussi vouloir dominer le temps qui passe, lutter contre
la disparition, graver ce qui doit demeurer. Travail de recherche et d’errance
aussi, matière en mutation, interrogation, mémoire, circulaire évolution. Où se
situe l’irréalité ? Comment trouver l’épilogue ? Y a-il une aventure ?
Un portrait
flotte sur la mer, tangue comme une plume de mouette ; une voile grise se
déploie sur le sable où tournoient des corps aux bras levés ; les rochers sont
immuables, l’écume légère éclabousse les passants. Invitation à un temps de
prolongement, de noctambules divagations sur le rivage ensommeillé.
Un monde obscur
issu de la nuit se répercute, écho d’un univers galactique souterrain aux
ombres éclatées, presque étrangères aux maisons figées, imprégnées de Lacenaire
atmosphère. Un enfant joue aux osselets dans une gare abandonnée. Un jeune
mousse s’embarque pour un long périple. Des goélands blancs et gris s’envolent…
Une jeune femme affolée court dans la forêt. Des spectres se promènent dans la
ville. Pourquoi tant de fantômes s’avancent-ils ainsi sur les flots et ne
parlent pas, pourquoi sont-ils sans identité et sans mémoire ?
La mort ne se
situe jamais là où on l’attend. Elle joue à cache-cache dans les couloirs du
métro, entre les poubelles des rues ou les silos des lieux industriels.
Tous ces fils électriques
sans oiseau : un automne sans pluie et sans vent… On entend au loin, les talons
d’une femme en manteau blanc qui s’éloigne. Dans la petite maison aux volets
encore ouverts, un vieil homme fume sa pipe. Le ciel ressemble à un tapis d’où
s’envoleront demain les feuillets arrachés d’un album de famille.
Une perspective
envoûtante déplace la vision, fait planer la trace de la personne qui venait de
passer là. La voiture est mal garée. Une lueur noire et crispante vient à
l’oblique de mon regard…
Tout devient
noir, ténébreux comme la lave qui coule, suinte, va lentement, inexorablement
vers le rivage. Mais…Voilà le soleil qui entre par la lucarne, l’image
s’inverse ; La perspective aérienne se pose au centre du rectangle, va au-delà
des apparences.
Loin des
faux-semblants, des rêves perdus : certains fragments de vie, si denses,
s’accrochent et pulsent sur les murs. Mouvements ininterrompus des souffles
lourds qui passent sur le port : mélopée archaïque frétillante dans les yeux
des poissons, des exhalaisons fortes et persistantes. La monotonie est
bouleversée par les nuances qui changent. Linge battu pendu dans les rues,
échelle oubliée rongée par le sel marin, une femme qui regarde, penchée à sa
fenêtre, les clochers qui dominent la cité. La tension du port oscille alors
que les voitures s’arrêtent au feu rouge…
Fahrenheit
451 in Holidays. Une ville absurde maintenant, ouverte comme un ventre de
femme qui ne crie plus, où les tourments de la guerre ont dévasté les cités
devenues si grises, si opaques… Le ciel déploie sur elles un voile spectral,
linceul livide strié de dentelles déchirées. Serait-il possible que ce lieu
n’existe plus jamais ? Cette archéologie contemporaine déclinée en tableaux
oniriques ne parle pas de ce qui fut tragique, dégradant ou bestial. Ces
triptyques, pages qui se tournent dans un livre inachevé, viennent d’une
contrée qui me semble si lointaine, si profondément intérieure... L’Eden a
changé de place. L’antique chemin des oliviers et des jasmins parfumés esquisse
l’amer et le tremblant. La vie s’ouvre sur un autre songe. Les corps allongés à
la lisière de la mort exhalent leur dernier souffle. Maintenant, le ciel va
s’écarter, abandonner ses blafardes et sauvages patiences pour écrire sur la
pointe des yeux la délivrance des inconnus.
Ce n’est pas
jouer, ni mentir que de reproduire les paysages métallurgiques en y configurant
les silhouettes du futur, en donnant une vie personnelle à ces personnages qui
sortent des films d’anticipation… Comment imaginer demain ? Sera-t’il un autre
Solaris ? Nous sommes soumis au temps qui passe, à sa fluctuation, à sa dérive…
À la mémoire rongée par le sel de l’oubli, au Sacrifice.
Arpenter le port
en déambulant. Carnet de notes, de musique…Variation d’une mélodie visuelle…
Laisser sourdre de l’agrandissement photographique cette amplification qui
devient surface médiatrice, repère.
« Demain au pays
de Gulliver » serait le titre du livre de Lilliput… Perdu au bord d’une mer si
tranquille, si vaste, dans une image où l’essentiel ne peut être appréhendé, et
qui dépend de notre conscience.
Chaque geste
engendre un aspect saisi sur le vif comme une insolence ; dominer l’instant ;
modeler la matière puis laisser filer le grain de peau, d’argent, de sable
entre ses doigts, ses mains ; la mer résonne de chansons et d’odyssées, mobile
- immobile en un mouvement qui s’étend, se détend, s’étire.
Des ombres
naufragées, un mur courbe, un infini déployé, une immensité confondue, presque
dissoute dans l’horizontalité des flots.
Jeux de miroirs
et de silhouettes, ciels bleus, chiens errants, drapeaux flottants, l’équilibre
du littoral reste sauvage malgré les édifications contemporaines.
Des escaliers de
pierres, des graffitis expressifs, un mât dressé, net et tranchant sur le ciel.
Des grues colorées bruyantes aux poulies grinçantes qui déchargent les caisses
sur le débarcadère encombré.
Du rouge en
filigrane, marée rouge, cerises peintes sur le mur, goutte de sang, façade
écarlate, tomates ou fleur qui se fane, un dessin dans la flaque d’eau,
empreinte de pied qui saute, enfants aux gestes vastes comme un rêve qui ne
s’achèvera jamais.
Dolce Vita, la danse dans
la nuit. Ici, les discothèques sont vides, les parkings aléatoires, l’immensité
dépeuplée interpelle la mer ; il n’y a personne, juste quelques palmiers…
J’attends… Il ne fait pas froid dans ma voiture… Qui viendra ici, sous les
éclats des néons qui remplacent la lune disparue ?
Je ne sais plus
pourquoi je suis venu… J’aurais aimé entrer dans ce bar, écouter de la musique,
mais j’attends toujours… Il n’y a personne encore… C’est trop tôt dans le petit
matin. Le pirate noir a disparu en pleine mer et son navire a sombré.
Une Petite-Île,
il pourrait y avoir là-bas sur la côte un phare qui s’allume la nuit, un port à
la criée des poissons frais, des exclamations dans les rues engorgées de
circulation, quelques courées paisibles aux alentours d’une église désertée et
la longue digue où se faufilent, ombres éternellement anonymes, quelques sans-
abris qui fuient la police, les dénonciations, les altercations.
Plusieurs de ces
villes cosmopolitaines furent des escales pour l’Argo. La conquête de la toison
d’or hante encore ces lieux historiques. Jeux de visages, de corps. L’activité,
le déplacement, le quotidien et quelque chose de divergent, presque impalpable,
imperceptible mais si tangible, si présent.
C’est toujours le
temps qui se souvient, aujourd’hui comme hier ; marcher doucement, respirer
l’air du large espace, oublier, ne pas penser, mais être simplement présent.
Devant moi, trois gros cailloux blancs et gris ; j’aimerais y incruster des
signes, graffiter ces blocs qui ne bougent pas ; dessiner des petits poissons
argentés, et sur toute cette jetée de bois, peindre des mots ou des lettres,
rouges, jaunes et bleus, d’or dans le soleil levant.
Être dans la
blancheur du jour comme dans un instantané de vie, un Polaroïd de clarté.
Je descendrai
doucement l’escalier, en me tenant à la rampe ; il n’y a pas de vent pourtant,
un silence marin dans un cimetière oriental.
Des lattes de bois
ourlées de sables et d’écumes, les amoureux sont assis, joue contre joue, pour
l’éternité d’un « The End », comme sur ces bouts de film où était écrit le mot
« fin » en différentes langues. Leurs oreilles devenues des coquillages
chantent lentement le rythme des flots pélagiques, la sirène allongée sur le
récif peigne interminablement ses cheveux face à la lagune; il n’y a plus
personne sur la jetée. La mer se plisse face à eux, les rochers blancs semblent
immuables, le lampadaire n’éclaire plus rien, ou peut-être le pays des autres
rives, vers l’Asie mineure, là où je ne suis jamais allée.
Les amants
demeurent assis sur le banc face à la mer et toute l’histoire semble sans fin…
The end.
Véronique Guerrin
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