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triptyque Ulysse
Photographies Remi Guerrin Peintures Phoebe Dingwall |
Phoebe Dingwall, la vie donnée, rencontrée.
La base de la création serait-elle dans ce désir de
transcender la matière, de deviner le secret qui se cache dans les petites
choses de la vie, dans la main tendue d’un enfant, dans le vélo qui roule sur
la route, dans les entrelacs d’un verger oublié… ?
Les études réalisées par Phoebe sont issues du cœur même
de sa vie intime, de ce qui l’entoure, et se déclinent en une énergie particulière
: un jardin d’arabesques et de coloris où les apparentes symétries se courbent
comme une danse. Tout ce qu’elle observe, voit, découvre dans son environnement
est prétexte à une recherche picturale. Elle intériorise l’univers de ceux qu’elle
rencontre, les lieux qu’elle visite, les gens qu’elle voit et regarde … Tout
son imaginaire s’imprègne alors de son monde intérieur en confrontation
quotidienne avec le monde extérieur et c’est ainsi qu’elle nous convie à découvrir
ce qu’elle ose dévoiler ensuite.
Des oeuvres végétales, géométriques aux lacis botaniques.
Un bassin aux poissons ; un parterre où poussent des herbes médicinales ; une
cabane d’enfants ; des rues animées ; un visage esquissé ; un potager au pied d’un
immeuble ; une pièce d’eau aux nénuphars.
Des lettres et des mots pigmentaires qui se chevauchent,
se superposent, se fuient, se retrouvent ; des abstractions qui racontent la
vie rencontrée. Une plantation de calligraphies aériennes, féminines, entières.
Les contrastes, les ombres, les nuances sont parfois
inattendues, mais offrent la perspective de différentes émotions canalisées,
comprises, transformées, proposées.
Tous ces aspects donnent à sa toile ou à son dessin une
dimension d’enluminure ouvragée, une pièce d’orfèvrerie, un bijou précieux.
La mémoire de Phoebe forme l’empreinte, la matrice de son
œuvre. Carnets de voyages, carnets d'ébauche, croquis, notes, mots, dessins épinglés.
Représenter ce qu’elle remarque, ce qu’elle distingue. Trouver un chemin jusqu’à
la profondeur de l’autre. S’interroger sur le sens de son œuvre. Transmettre
aussi. Partager. Phoebe est dans le don, d’elle-, de son travail, de sa vie.
Elle parle avec son corps, ses mains, elle raconte aussi. Dans la plénitude ou
l’harmonie. Dans le rejet ou la contestation. Continuer ? Gommer ? Recommencer
? Toujours approfondir, délimiter pour sortir de cette limite. Aller au-delà.
Les allégories formées par les entrecroisements me
rappellent des ornements arabo-andalou de sculpture, des éléments d’architecture
: fruits, feuilles, fleurs, drapés articulés suivant un assemblage capricieux,
fantaisiste ? Certainement pas ! Chaque instant posé est démarqué, choisi, extériorisé,
effacé, ôté ou gardé… Un tissage méticuleux, pointu et voilà une bourrasque
colorée qui donne à l’œuvre sa respiration !
Phoebe est dans le don de la vie regardée ; elle incarne «
la vie rencontrée «
Elle questionne les gestes des enfants dans la rue, au
jardin public, dans les écoles. Elle remarque, attentive, les marques du passé
qui déjà ébauche son ouvrage. Peur, inquiétude, hésitation. On ne peut obliger
l’enfant à se taire. Il fera semblant, peut être ? D’être silencieux mais il
pensera…
Rester dans le silence. Cela veut-il dire vraiment
quelque chose ? Le silence ? un temps de rêve, de paroles muettes, de
souvenirs, d’explorations…
Aucune distance, aucun silence ne nous éloignent du
jardin des enfances, de ce que l’on garde en nous comme une occasion d’éclosion
et de coquilles, d’éclats, d’écales, de brisures et de rires et de couleurs.
Un endroit où les jouets sont absence, un endroit où l’on
ne se distrait plus. L’enfance : l’origine de la vie qui n’est pas un jeu. Ni
une cour d'école ; c’est s’éloigner d’un songe et pourtant s’approcher de soi-même,
de son mystère personnel et le rapprocher de celui des autres.
Des herbes, des pierres, des eaux s’échevellent,
tourbillonnent autour de nous, nous enserrent parfois.
La mémoire peut être vampire ou méduse. Le cœur porte en
lui maintes blessures. Ce n’est pas toujours fortifiant ou tranquillisant d’être
un petit.
Ce lieu de rencontres : Correspondances, qui nous
ressemble, comme une île close, un paradis retrouvé.
De vive agitation, cette femme qui marche dans la rue,
ses cheveux volent au vent. Des voisinages inaccessibles, des tombes aux fleurs
fanées, des cahiers ouverts, des fenêtres scellées. Des mutismes ou des
cendres. Des labyrinthes au verger clos, des murs de discrétion où coulent les
voiles d’une mesure, une pause qui devient suspension, une halte dans l’effervescence,
les vacances.
Correspondance, concordance, coïncidence… Conversation. Déployer
un faisceau de clarté afin qu’il illumine les instants de l’enfance en vacances
: la plage, le sable, la mer…
L’enfance est un état si difficile, non un Eden ; Chacun
possède son parterre d’errances, d’instants fragiles, dénudés, trop douloureux.
Ce n’est pas un îlot de bonheur. Loin de là. Elle laboure, lamine également.
Nos propres enfants deviennent alors les ferments de cette interrogation sur ce
que l’on a vécu ; illustrent ou imagent par leurs attitudes, leurs mouvements,
leurs mimiques et leurs gestes ce qui est présent en nos souvenirs.
La photo sur la feuille de papier appelle une réponse ;
elle suggère, elle questionne : je suis dans un espace clos, celui de la
feuille de papier… S’arracher aussi à toutes ces enfances entrevues, lues,
reconnues. Là-bas, l’Ecosse, les peintures et les livres d’images, les photos
et la maison … Le bord de la mer.
Marine imagination, et si la mer nous semble bleue,
est-ce ainsi véritablement qu’elle se présente à nous ? Une photographie comme
une voix qui me parle…
Un pigment comme un chant qui me sillonne, toucher le
papier en un premier instant pour entrer dans l’espace de l’autre…
« Lorsque tu me dessines, je sens une forme qui sort de
mon corps, une empreinte de moi-même. »
Chaque moment est en fragile équilibre. L’éphémère nous
attire et nous ennuie…
S’amuser…Muser… Jouer avec les lettres, les couleurs.
Ne plus s’ennuyer, combattre la peur, se battre contre la
mer… Et le château de sable inévitablement sera détruit ; Se battre dans le
vent. Le jeu de Don Quichotte…
Des écumes lunaires, des ombres laiteuses, un vert si
tendre aux racines naturelles et la main aux doigts repliés qui va appuyer sur
la détente. La cible ne bouge plus. Des éclairs surgissent, inondent l’espace…
Le jeu entièrement abreuve nos corps. Et nous porte à un autre temps de rêve. J’entends
le bang.
Ces souvenirs comme des papiers, des cahiers d’écolier
griffonnés, des albums de photos, des carnets de vacances, et cette douleur, ce
passé qui s‘échappe… Lampe d’Aladin… Jardin d’Alice… Fumées dans la ville…
Tout ce passé que l’on ne peut rattraper, reprendre, et
la mer, l’enfance, les livres et les mots dispersés…Tout ce qui ne nous
appartient plus.
Les livres d’images : pour moi tout est image, miroir ou
reflet, forme, transcription, évocation, autre perception. Se tendre vers une
visée qui change toujours.
C’est si important de réunir ce qui est dispersé, ce qui
est détruit, ce qui se transforme. Les enfants, les familles, ces petits garçons
seuls devant la mer et ce sable presque gris qui va être englouti ; Ces visages
de fillettes qui regardent au loin ; Se battre contre l’engloutissement et
pourtant l’accepter car c’est ce qui arrivera.
Un rythme de colère aussi, une impulsion d’offrande, de
genèse à la limite de la plus pure intimité. Des pigments d’or, d’argent qui s’entremêlent
en rompant la symétrie. Des flashs rougeoyants, des soleils éclatants ou des
lunes d’automne.
Les œuvres de Phoebe sont des poèmes qui révèlent l’intimité
de sa mémoire ; des tableaux semblables à des alcôves tendres, secrètes ; des
images de Pandore également qui agressent ou interpellent ; une Alhambra qui
devient le rythme de notre regard ; des murmures légers qui nous caressent ;
des chambres noires où s’ancrent des photographies, des chambres où naissent
les enfants, des chambres d’amour et d’abandon, des chambres comme des vergers
aux différentes saisons ; des peintures dans lesquelles on aimerait entrer, pénétrer
.
Là, sur le côté, quelques coquillages qui s’enroulent en
robes orange ; des escargots gris sur fond de ciel étoilé ; des pastilles dorées
: bonbons acidulés ; des éventails déployés qui surplombent la lettre A, jaune
comme l’étoile de David ; des L, liés, déliés, lien entre les images.
Une solitude habitée de vivante alchimie, d’isolement, d’apaisement,
de dépouillement. La vie retrouvée, accordée, attirée. Une ambiance exubérante
ou foisonnante. Et un monde d’icônes à la transparence qui chante.
Phoebe nous offre la richesse de sa présence chaleureuse,
de ses doutes, de ses interrogations. Univers aquatique, boules d’herbes qui
volent dans le désert Andalou, des nuages estompés, des rivages abrupts, des
ballons qui roulent ou des bulles qui s’envolent.
Elle jongle entre l’interruption : ligne cassée, courbe
enfantée, grille fermée, fenêtre ouverte et la correction : elle épure, délave,
ajoute, retranche, rature, joue de couleurs, de pigments comme d’une substance
emplie de force.
Œuvre en devenir « cette œuvre n’est pas finie » …
Pudeur et dépouillement sont les matériaux de son atelier
où son cœur est le centre : l’athanor où elle travaille sans fin au kaléidoscope
Byzantin de la vie rencontrée.
Remi Guerrin, le jardin des enfants bleus.
« C’est une peinture ancienne
Dans une église de mon pays
C’est un petit garçon
Qui veut vider la mer avec une cuillère… »
(Poème de Julos Beaucarne)
Le foisonnement de ces images d’un bleu particulier
ranime notre enfance disparue, et également toutes ces enfances qui sont si différentes
et qui se rejoignent en un lieu unique : celui de l’évocation. C’est ainsi que,
devenues prétextes à un temps de repos, à la mémoire d’un temps estival, ces
images deviennent pour nous les vacances singulières d’enfants au bord de la
mer. Elles pourraient être nos villégiatures, liées à ces terrains littoraux où
poussent les panicauts, chardons bleus ombellifères.
Mais enfin pourquoi photographier les enfants, la mer,
les cours de récréation ? Que cherche le photographe dans l’enfance, qu’y
voit-il ?
« Un potentiel vital non canalisé sauf par le jeu. Courir
après la mer, vivre la dévastation de sa propre construction, être Perceval le
Gallois, se transformer en un valeureux guerrier, devenir chevalier de la table
ronde… »
« Le jeu est libérateur, constructeur. La plage n’est pas
un rêve, ni un paradis perdu. La mer est aussi violence, agitation, eau
mouvante, sombre, absorbante. «
Il apparaît ici que Pandora a ouvert le coffret mystérieux.
Contenait-il des coquillages ? des pièces d’or ? Des images froissées ?
Atelier photographique aux flacons emplis de pigments
colorés, aux papiers précieux, aux coffrets où sont rangés les négatifs ; de
grands bacs, des carnets de notes, de recherche ; des cyanotypes, des herbiers
bleus ou des tirages pigmentaires sur le mur. Et… Des plantes qui sèchent sur
des claies alors que pendent des épreuves dans la partie humide du lieu de
travail.
Le travail de Remi Guerrin s’élabore entre jardin et
laboratoire, en une ferme progression et sans aucune agitation. Une gravité pénétrante
alliée à un travail méticuleux permet à ses images d’être rares, inhabituelles
et expressives. Sa concentration dont la densité semble proche du recueillement
s’unit à une attention soutenue et mesurée, avec des mouvements ou des gestes
qui pourraient sembler lents ou interminables mais qui résultent d’un
approfondissement nécessaire à « l’extraction » de son image, et d’une
association intime avec la musique et la poésie.
Observer la nature, la comprendre, vivre en elle, avec
elle, l’étudier sont l’essence même du développement de son oeuvre et de sa
recherche artistique. La vie vient de la lumière, elle est naissance,
croissance, décroissance, puis mort.
Et recommencement. Une cosmogonie monochrome bleue nous
est présentée.
Le bleu : couleur froide, qui éloigne et s’éloigne, qui
ouvre un songe ou qui fait frissonner devient maintenant au travers de ces
portraits un coloris pigmentaire entier, vivifiant, et léger.
Ce bleu donne aux formes, aux ombres, aux objets une
dimension d’infinitude : les instants vécus se prolongent, on trouve son propre
centre, on sort de la pénombre. L’oiseau bleu serait celui qui se transforme,
qui réalise les rêves, de ciel, de mer, de fleur ou de fougère ; couleur indécise
devenue présence.
Jeux de sable qui s’inscrivent en un espace ciblé, et
disparaissent dès qu’ils s’achèvent et… L’isolement… Seul dans son activité,
seul dans un rêve, seul au sein d’une trêve, l’enfant a des gestes sérieux,
presque illimités parfois.
C’était hier, c’était l’été. Un autre été, un autre hier.
Une autre plage aussi, mais malgré tout, nous aimions ce rivage et les jeux de
sable.
Le château lentement a été construit, avec ses murailles,
ses remparts, et puis est venue la longue attente, le soir, au couchant du
soleil, avant qu’enfin, ultime délivrance, les vagues viennent inonder la cour
du château et l’assaillent, dissolvent la bâtisse et en fassent un amas de
sables mouillés.
La destruction de sa création amuse l’enfant. Il aime
cela. C’est une réjouissance attendue avec impatience.
C’est comme s’il ordonnait, commandait, comme s’il était
le maître ultime de son oeuvre. Faire comme si… J’étais grand, j’étais le
docteur, le marin, le savant. Se construire, grandir.
Le jeu devient un chant mouvant qui jaillit du corps, une
expression similaire à une danse, un langage de dieu créateur, de démiurge,
mais l’enfant sait bien également, au plus profond de lui-même, que le jeu a
des règles précises… Qu’il s’arrêtera, qu’il faudra partir, et un jour,
revenir, répéter les mêmes pantomimes.
« Viens recouvrir mon château de sable », dit l’enfant à
la mer et les vagues dansent, s’approchent, murmurent… Brisent, ensevelissent ;
et l’enfant chante, crie et tournoie, les bras ouverts dans le vent salé,
heureux de cette disparition.
Pierres bleues de la terrasse. Mer aux coloris mouvants
de bleuets qui se fanent. Quelques fruits de mer blancs nacrés aux reflets de
nuages effilochés. Les mains de l’enfant se rejoignent. Une quiétude s’installe
dans le paradis des sables. Les enfants bleus regardent le scarabée noir. Le
soleil est chaud. Sous un oreiller, une boîte où luit faiblement une luciole ;
herbes piétinées sous les mûriers. Les fruits noirs tressaillent dans la bouche…
Un tracteur passe sur la digue. Le barrage de pierres
rouges accueille des libellules turquoises tournoyantes. Des cailloux
jaillissent sur l’eau de la rivière. La paille sèche dans le panier… S’y pose
un papillon de nuit. Tout est en intime conversation, le corps des enfants
bleus dans l’eau qui se plisse comme un tissu soyeux, les rires et les voix qui
s’enfuient vers le lointain du rivage, les cheveux roux d’une fillette, le
palet de la marelle dans la cour de récréation, l’écume de la mer sur le seau
de plage.
Puis, le soir tombe comme la pomme de l’arbre. La
sauterelle se cache dans la fleur rouge. Sur la table, un verre vide. Instants
fragiles. Le silence est rompu. Un volet va se fermer, un chien aboie sur la
route. C’est août de pâle clarté dans la chaleur céruléenne d’un jour de mer.
Grappes de moules noires sur les rochers, le ciel et la
mer sont couleur d’anémone, les maïs jaunes dans les champs… Quelques gouttes
de pluie transparente tombent sur la plage. L’eau est trop froide, le petit garçon
lève les bras et saute ! La mouette vole trop bas, les rochers ressemblent à
des humains endormis.
Deux enfants sautent dans les vagues, éclats de nuit sur
les draps, il fait sombre, une lune d’eau flotte dans le ciel.
Il faudra partir tout à l’heure… Mais pour l’instant, les
bambins jouent encore. Les navales architectures sont désertées, les parasols
sont fermés ; la rive est déserte.
Des nervures, des feuilles crénelées, découpées, un
rameau multiplié, des bourgeons gonflés, des fleurs parfumées ; la fécondité
verdoyante du verger, du potager, du lieu d’agrément ; la vitalité horticole,
se retrouvent dans tout ce bleu, dans ce délassement de sables et d’écumes.
Le jardin des enfants bleus appartient à chacun de nous.
C’est un endroit où il est possible de creuser dans l’argile de son histoire
intime, de revoir des images qui sont plantées en nous comme l’arbre
anthropogonique, des images de vie, vivifiantes, et qui, comme des plantes,
poussent, grandissent, se métamorphosent…
Il symbolise pour chacun de nous cette enclave mystérieuse
et naturelle où il est permis de se mettre à nu, de se dévoiler, de se sentir
totalement soi-même, loin des masques de la persona, loin des brouhahas de la
ville, loin du quotidien. Il me semble que la mer représente ici le même symbole,
celui d’un endroit chaleureux, de sables et d’écumes où l’enfant n’est pas l’enfant-roi
tant décrié par notre société actuelle, mais où il reste celui qui aime jouer
et prendre son temps, celui qui souffre aussi, qui connaît des peurs, des
doutes, qui se bat pour grandir.
Dans le cadre de la fenêtre, une araignée dort. La
glycine rampe sur le mur. Ce qui aère le regard, c’est le clair-obscur blotti
en nous. Mais déjà, le crépuscule tremble, les étoiles sont humides sur le
sable, les pieds nus glissent sur la mousse verte…
Des images marines ou végétales, d’un bleu de mer, de
ciel ou de regard, si bleu, d’une nuance céleste ou d’eau ; le sel brillant sur
la peau sèche. Le sable qui vole, entre dans les yeux…
Sauter, nager courir, être enseveli, rire… Être englouti
dans le sable, dans la mer… Plonger, partir, revenir, les seaux de plage, les
pelles, les algues et tant de boîtes, à musique, à trésors, à ressorts, à
photos… Une humide et salée poésie s’imprime dans le cœur.
Jardin des cyanes apaisements. Il n’y a pas de silence
dans la vie, dans la nature, nulle part, ni ici, ni ailleurs. Le silence n’est
qu’absence de sons ! Muettes images ? Non, chacune possède sa sonorité
particulière et cette correspondance d’images se propose reposoir, laboratoire
enchanté.
«Correspondances» : images bleues d’enfants qui s’amusent,
enluminées de peintures foisonnantes, colorées, printanières, fulgurantes.
Elles rendent proche le geste incisif de la main tendue au revolver brillant
sous un rayon de soleil, de la main bleue qui s’appuie sur le papier, du corps
qui se tend vers le nuage, du drapé des herbes enroulées sur la tombe, des
piments qui sèchent au soleil.
Le sens du silence dans le creux paisible des sables
serait dans l’attention à tous ces bruits qui animent la nature, à une
collection de sons assourdis par le ressac : des voix parlent, crient,
murmurent ; un grand-père raconte des histoires d’horreur à ses petits-enfants,
une jeune femme aux seins nus écoute sa radio, un bébé hurle sa faim, l’enfant
court après son ballon multicolore, un chien aboie en sautant dans les vagues…
Un cosmos poétique, des mains qui dansent, tournoient,
ouvertes aux doigts si lumineux… Rappel des grottes préhistoriques mais ici le
bleu a remplacé l’ocre rouge rituelle. Des mains comme des ailes, mains aériennes,
mains d’enfants, de jeune fille, résistantes à l’emprise du vent, mains si
terrestres aussi qui modèlent la chair, la matière.
Dans le reflet du nuage, de la flaque d’eau, les
empreintes des chevelures blondes, les garçons escaladant les rochers, la jeune
fille rêveuse dans sa chambre.
Je sais bien que les enfants gardent dans leurs poches à
merveille coquillages, rayons de lune, éclats de soleil, crustacés morts,
lucioles…
Les Indiens racontent que la mouette gardait dans une cassette
sombre la clarté du jour et que le corbeau la cassa afin que les enfants vivent
dans la lumière.
Ce travail serait comme l’ouverture d’une boîte à
secrets, comme le début d’un récit : sur la feuille de papier vierge, les
pigments s’assemblaient pour former une histoire, des couleurs s’y associaient
créant une genèse d’enfance : le repos dans la légèreté, la rondeur du ballon,
de la bulle, d’une nuque, un unique mouvement, poisson volant, oiseau ployé par
la vague, enfant couché dans les goémons…
Cette correspondance entretenue entre photographie et
peinture est devenue une allégorie, une intime mansarde végétale, un jardin
suspendu, une enceinte sacrée, un lieu de croissance et de repos, un temps de récréation.
Véronique Guerrin