mercredi 12 janvier 2011

le jardin des enfances, extrait du recueil




Étrange géographie d’une route de nuages et de vents, de bitume, de marbre et de végétation sur l’axe d’un autre regard. Chacun trace la limite de son rêve avec l’outil de sa propre nudité face à l’espace entrevu.

Tu partiras vers les vertes étendues silencieuses. Pour oublier l’aveuglement ; Pour trouver l’éclat, la tempête, le matin à nul autre pareil, celui qui donne la force de poursuivre le chemin inexploré.

Les étoiles, tu le sais bien, dormiront encore, quand la mort sillonnera, conquérante, les lieux d’épines, d’obscurité. Au bleu crépuscule des progressives déchirures, le temps se voûtera. La lumière sera trop lourde, peut-être ?

Sur les branches généreuses des pommiers, quand la terre est abrupte malgré la douceur de l’horizon, voici la blanche ondée, et le regard du jardinier se dérobe à nos yeux. Long paysage de jeunesse enfuie, les mains aux doigts d’éblouissantes conclusions, présence d’une multiplication.

Car c’est ici, la terre noire, lourde, qui n’en finit plus de se fortifier. Il semble pourtant que l’empreinte des pas s’estompe dans l’argile humide. Derrière les jardins où jouent les enfants, quelques tombes blanches. La mine et la guerre se sont unies pour un dernier hommage, un autre courage.

Des ronces, aussi, qui ne pourront jamais grimper le long du terril et qui rampent, entre les rails des voies ferrées abandonnées, désertes. Le château d’eau, là-bas, si loin, témoigne d’une vie présente. Pourtant, tout ici semble maintenu en une végétale absorption où la main de l’homme n’est plus que rarement vagabonde. Des pommiers sauvages ont poussé là, et leurs troncs connaissent la légende de ce lieu archaïque.

Bien sûr, il y a bien ces trains qui roulent encore, qui passent fièrement devant les vieilles locomotives qui rouillent lentement. Il y a bien ces promeneurs du dimanche, un panier à la main, qui viennent cueillir les pommes rouges, jaunes. Mais ce ne sont là que des passants, des fugitifs.

Les amoureux aussi connaissent cet endroit à l’abri de toute indiscrétion, s’enlacent sous les pommiers en fleurs.  Mais le printemps ne dure jamais assez longtemps et les amoureux disparaissent. Les pommes alors mûrissent, solitaires, gorgées de pluies, de silences et de terres noires.

Le voyageur des vergers sait découvrir les lieux cachés où les pommiers ont poussé.  En toute pommeraie, il sait nous faire découvrir la ronde ivresse des saveurs différentes et exquises.

En sa compagnie, en ces gothiques arborescences, là où tout est variance et déchirure aussi, tu découvres la pomme des émigrés, la pomme des amoureux, la pomme du goûter des enfants.

Pomme de Newton, pomme d’Api, pomme de discorde ou pomme de Reinette, tu trouveras le Castalien des vergers colorés, là où la mine s’étire et disparaît, à l’horizon des cités recroquevillées et sereines.

Cet homme cache dans son fruitier la pomme de Vénus et la donnera à celle qui sera la plus belle. Ce n’est point qu’il soit Pâris, mais la Grèce est sa deuxième terre et c’est là qu’il cherche la réponse aux mystères des pommes.

La lune en robe d’écureuil est en équilibre, sur le proverbe agonisant des cieux, brise sa vertueuse souvenance sur une houille brillante. Il sera doux de traverser la cour des pas perdus pour pénétrer dans la salle des pendus où tant d’hommes et d’enfants se sont déshabillés, avant de rejoindre le fond.

Sur la nuque errante des collines se posent les ailes des signes pluvieux. Le gazouillis du lilas poignarde l’obélisque liquide. Un poivre d’oasis pimente la lente migration des herbes sucrées.

Sous la figure blême du matin, se dressent les barrières des jardins.

Un chat se montre à une fenêtre. Un enfant roule à bicyclette sur la route poudreuse. Il n’y a aucune animation dans les rues. Tout semble désert. Il fait certainement trop chaud. Où il n’y a personne.

Là où l’inconnu qui observe emprisonne les détails, dénie tout oubli, nous pouvons laisser, inexploré, l’insolite rêve de l’enfance car les oreilles lointaines de nos ancêtres sont sourdes à nos puériles insistances. Plus personne ne peut raconter l’histoire de ce pommier, de ce fleuve, de cette route. La mémoire est devenue indécise. C’est peut-être mieux ainsi. Chacun peut alors créer sa propre histoire. Le lieu devient inaugural.

Immobile pénombre. Éphémère clarté. Tout se succède, se complète et se ressemble. Pour un arbre de neiges, de ronces, d’écailles en roses d’anthracite, quand s’éparpillent les cris des enfants qui s’éloignent. Combien de silence faudrait-il encore pour que tombe la pluie ?

C’est au croisement du carrefour qu’apparaît la lueur innocente d’une robe d’enfant qui danse. Un peu plus loin, se dresse le mur du verger.

Photographies: Bassin Minier - Remi Guerrin