samedi 23 octobre 2010

Sur la plage. Léonard René Guerrin



  Léonard Alexandre René Guerrin - Médecin Major Guerre 1914/1918- Hôpital de Golbey-Haxo, 

Né le 03/02/1886 de Guerrin René Eugène, Horloger- Bijoutier de son état,  et Foissey Eugénie, à Chaumont, 23, rue de Bruxenville en Haute-Marne - Décédé le 23 août 1949 au 17 rue Patou à lille


Sur la plage.  

Par un doux soir d’été, tandis qu’au loin la lune

Mollement balançait son disque de pâleur

J’allai inconscient tout le long de la dune

En écoutant heureux, la dernière clameur

De quelque matelot rentré tard au village.

J’allais ne sachant où quand soudain j’aperçus

Une ombre se glissant alerte sur la plage,

Et l’ombre s’arrêta sur un des bancs moussus

Couchés non loin de moi. D’une belle bretonne

C’étaient la taille fine et le jupon flottant :

Accompagnant alors la chanson monotone

De la mer et des flots battant et rabattant

Les rochers du rivage, elle entonna joyeuse

Un des airs du pays. Elle se tut bientôt

Car tout près sur le sable et dans l’herbe moelleuse

Un pas se fit entendre… Elle fit un sursaut.

C’était le pas d’un homme. Est ce toi, fit la femme ?

La brise répondit . - Ne reconnais-tu pas

Ma petite Margot, par Notre Dame

Le pas de Mathurin, l’ombre de ton cher Gars !

Je les vis approcher et puis comme une abeille

Voltigeant fait un bruit, un frôlement se fit.

C’était un doux baiser, la chose sans pareille

Fait qui pour des amants est toujours inédit.

Puis aux deux amoureux des serments ce fut l’heure

Serments que je perçus bercés du bruit des flots.

-Des filles de chez nous Margot, t’es la meilleure,

Mais sais-tu ce que c’est que des vrais matelots ?

Sais-tu qu’en bon marin, ainsi que je t’épouse,

J’épouserai la mer, et sais-tu que la mer

Le sais-tu, chère amie, est quelquefois jalouse ?

-Mathurin, dit l’enfant, je -n’aurai rien d’amer

Car, si l’océan veut te prendre comme otage

À ton secours, j’irai pour mourir avec toi !

Nous nous suivrons  partout, la vie est un voyage.

Nous parviendrons au port, tu peux garder ma foi.

Et là-bas, lentement, je pus voir les deux ombres

S’éloigner à regret des falaises sombres.

 

René Guerrin

14/19 avril 1902

 

 

 

Guerre 1914/1918


guerre 1914/1918 - Photographie René Guerrin.

texte Paul Carpentier alias Jules Dagniaux

Tous s'assoient éclairés par un fanal tremblants,
Ils content, tandis qu'on leur verse un jus brûlant,
Que, leurs troupes hier ayant été fauchées,
Ils viennent d'être enfin relevés aux tranchées
Prises à l'ennemi dans ces bois défoncés; 
Ils demeurent les seuls officiers non blessés
Du régiment, qui tint huit heures sur la ligne,
Et laisse, vaillamment fidèles à la consigne,
Deux tiers de l'effectif couchés sur le carreau. (extrait)

vendredi 22 octobre 2010

Terre des orangers




Certains paysages se souviennent de toi, Eve à la rousse chevelure, et c’est aux jours de l’enfance inépuisée que tu viendras vers eux. Dans le temple des Dieux étrangers encore à ta race, on entend quelques murmures. C’est le jeu de l’Eternel, béni soit-il, qui assemble les formes du temps et du sommeil, comme une attente sur le parvis nu des cieux entrouverts.

Obscur chaos où l’ordre s’annonce. Instant suspendu. Première ronde dans la nuit des Dieux. Une épiphanie de blanches danses sur l’écume de l’encore indifférencié suspend son vol au-dessus des flots amers.

Terre minérale. Terre lavée. Tiges fermes des roseaux. Pierres bleues sur les tertres nus. Perles de poussières vertes. Une aurore de Genèse.
Et un immense feu qui tournoie dans l’espace. Une sidérale incantation qui libère la Mémoire de l’Eternité, mais il y a une tombe ouverte, écartelée, de lierres, d’herbes phosphorescentes sur un corps qui se lamente…
Alors, il n’y a rien, rien au-delà des monts de l’oubli, et cet oubli même est encore inexistant. Il n’y a rien, rien au-delà des cimes nuageuses qui se forment lentement, rien au-delà de l’autre univers englouti,
Mais des îles perdues, des jardins endormis…Tout repose encore dans un songe.

Chaque rêve des Anges perce les lits des fleuves, transporte les falaises grises vers les eaux amères, et tourne, tourne, roule hors de l’obscurité en un éparpillement d’étincelles vivantes.

L’histoire est immobile pourtant. Toujours la même lueur de louanges qui illumine les feuilles des arbres, toujours la même pleine lune quand frissonnent les fougères.

Chaque couvent végétal devient humide, translucide ; alcôve pleine, lourde, ronde, comme un ventre de femme, aux lianes des membres en prière dans le matin de l’aube fleurie.

C’est la première Pâques, le sacrifice des amants de l’éternité. Leurs cœurs pouvaient contenir la matière docile, voguant sur le miroir des ondes, traversant les milliards d’années qui les séparaient du premier souffle vivant.
Leurs cœurs, berceau ou navire, salé et fleuri, qui s’enfoncent dans les profondeurs des pélagiques abîmes, proues sculptées dans les rocs frappés par la foudre.
Des éclairs transfigurent le jardin du premier matin du monde. Septième jour ou neuvième jour, il faudrait encore savoir jouer avec les lettres sacrées qui s’avancent en procession sur la mer de cristal, devenir Aleph, le seul, l’enfant du premier vertige.

Jongler avec les lettres de l’alphabet secret, découvrir les chiffres magiques, entendre les sons ciselés dans la glace…Sans effort, sans crainte, être immobile dans la paix du Jeu.

Il y eut d’autres rivages, d’autres cieux
D’autres espaces pour la cathédrale
De la mémoire, ouverte aux quatre vents,
Où courent, pieds nus, les enfants du silence.

Mais il n’y a pas encore d’enfant.
Il est un lieu, une pénombre
Une glaise humide où s’agite
La semence des siècles.
Équilibre d’un axe lumière
Pour le reflet de la croissance
Dans le regard du premier homme.

Pleine lune devenue pomme d’un jardin au sépulcre creux. À l’infinitif du Verbe, s’ouvre la porte d’un étrange abandon... Bientôt, tout sera plénitude sur l’île où tremblent les feux des derniers bûchers.

Les cendres s’envolent dans la mystique nudité ; le ciel est déchiré sous les eaux du Nil. Les hommes chaussés d’indifférence foulent les terres ensanglantées, ferment leurs paupières. Les Dieux gisent, cloîtrés, dans la grotte profonde de l’inconscience.

Mais ce n’est pas encore le temps de l’inconscience. Il y a juste une épée brillante qui tombe sur la montagne blanche, et mille éclats d’une émeraude brisée qui dansent dans le vaste espace, laissant entrevoir des mondes inattendus...

Au centre de l’Oeil du Monde,
Il est un autre jardin.
Ève s’y glisse comme y glisse
Le serpent brillant, s’émerveille.

Elle a retrouvé l’ange sans aile,
Celui qui pleurait en elle,
Se laisse bercer, caresser.

Transportée d’amour,
Elle visite avec lui, extasiée,
Ce monde qu'il lui offre…
Cette terre qu’il a conquise pour elle
Car il n’est qu’un ange perdu
Et sans elle, il n’est rien…

Au centre du jardin du monde
Il est un autre jardin.
Ève y conduit Adam.

Des groseilles mûres, de lourdes framboises, le raisin foulé aux pieds, nus, et la pomme des Hespérides, pour une joie, un éclatement de la vie.

À travers la paroi du verre rouge, scintille la flamme de la bougie. Terre lointaine, terre des orangers et des parfums printaniers, suave abandon à la providence.
Mais l’Ange de Lumière, devenu le Ténébreux, nous fera peur… Il est si doux, pourtant, le jardin des étreintes amoureuses.

Une femme nue
Qui s’enfante dans le silence
Sous les mains divines ouvertes

Et le mouvement de deux corps assoupis
Qui lentement s’éveillent…

S’extasient…

Des racines entremêlées aux pierres rondes
Là où l’enfant meurtrira ses petits pieds
Mais longtemps encore, l’étreinte du néant,

Le vertige des voix qui interpellent
Comme un chant, une offrande

Là où se descelleront les pierres tombales.

Mais il n’y a pas encore de mort. Tout est calme et joyeux dans le jardin des vertes symphonies. Gerbes de blés, soleil qui tournoie en une ronde douce, lune aux paupières d’osier, et mille pétales de roses éparpillés sur l’herbe tendre du verger.

Liturgie célébrée par les Anges, la femme couchée à l’ombre de la caverne sacrée, sur l’arbre de bois ;  l’homme nu, couché, contemplant l’infini Divin.

Il y aura le solstice de l’hiver et le vent qui dispersera les images comme des grains de louange. Peut-être trouverai-je ton nom inscrit sur une stèle oubliée ?

Là où la brume s’habille de hasardeuse solitude, les volcans commencent à s’agiter car Eve a rencontré l’ange qui pleure et qui tremble.
Il n’est que porteur d’une lumière perdue. Sans la femme, il n’est rien. Sans l’amour, il se déssèche.

Oh ! quand viendra donc pour lui le temps des retrouvailles ?

Sculptures éphémères des limons
Lorsque le vent captif des cris de l’ange perdu
Délaisse le creuset des ombres,

L’Eve des trèfles fleuris voit dans ses rêves
Un ange qui pleure et lui tend la main,

Elle veut se pencher vers lui, le consoler.
Il ne peut y avoir de larmes
Dans le verger de la félicité éternelle.

Mais l’homme aux ailes vertes la vrille
Sous les éclats du soleil, l’enlace,
L’emmène vers les berges d’un fleuve rouge.
Puis la guide, lentement, vers le jardin
Des épines entrelacées
Là où pousse le pommier aux fruits dorés.

Plus loin que la forêt où brame le cerf
Bien plus loin que la mer où la baleine
Attend Jonas,
Plus loin que le mont Horeb
Et là où Adam n’est pas…

Un étrange pain qui brûle,
Une ride se forme
Au front de la blanche épousée…

Un pain fruité, parfumé et Eve s’en retourne,
Étonnée, vers Adam au lieu
De l’échine du temps immortel.

Elle lui porte le fruit lourd, aux rares saveurs
Ils s’endorment dans la vasque humide
De l’amour, quand les reins épuisés de tant d’ardeur
Se courbe vers la couche des herbes ployées.
Comme une offrande baignée de rosée,
Ils dorment, enlacés,

Et la fleur germe lentement,
Sur les pétales de leurs chairs.

Courbes aquatiques, de roseaux noirs, c’est le sang du sacrifice qui coule en eux maintenant. Le ventre d’Eve est devenu un puits ouvert, visité par un Dieu sauvage, inconnu, mais on entend les accents d’une voix ancienne, rougeoyante, qui appelle.

La pourpre de l’automne tombe sur le jardin. Une chaleur sèche se répand sur la terre.

Car au centre de l’œil du Monde
Il est un autre jardin
Ève y  conduit Adam.

Sous l’arbre aux lourdes pommes
Se sont endormis.

Alors, s’est ouverte la porte d’un autre songe.
Ils se sont aimés sur la verdure,
Ont ressenti l’ardeur de la chair
Promise aux Noces,
Ont admiré leurs membres
Sous le miroir de leurs doigts.

Ils s’en retournaient, chavirés,
Vers le jardin aux gerbes blondes,
Mais un Ange garde inviolable, désormais,
Le sanctuaire de l’Immortalité.

Lucifer console Adam, invente un autre ciel,
Une autre éternité, lui l'ange de la lumière, 
Et ce ciel est un cercle, une roue qui tourne,
Où la vie et la mort se succèdent l’une à l’autre.

J’attendrai, moi-aussi, devant la chambre nuptiale, avec une lampe allumée, pour que s’ouvre enfin la porte du jardin oublié.
Lucifer sera t' il un jour pardonné ?  

Retrouver la primordiale Unité, l’équilibre du Vertige, et vivre enfin ce Jeu Divin, sacré, sans craindre l’ange aux ailes vertes.  Aphrodite veille sur l’étoile d’émeraude, éblouissement des jours. 

Alors nous serons libres. l’Eden s’est juste éloigné de nous…
 Nous ne connaîtrons plus la mort.

Ce n’était qu’un jeu, un rire d’incandescence
Comme les éclairs d’une lumière inconnue
Sur les chairs d’abondance et d’un autre demain,

Le chant des lointaines forêts bleues et vertes
La danse des nouvelles étoiles,
Une femme évasion qui enfante sur les blés
Qui mûrissent, et qui se couche,
Animal blessé par tant d’efforts…

Une voix se fait attendre.
Une lente éclosion qui tarde,
Dans la gorge encore nouée
Par le refus de l’Ange au glaive de feu…

Sur la terre, qui roule et tourne, une autre geste
Mais ce ne sont pas des marionnettes,
Qui marchent et peinent, sous les fleurs des arbres,
Quand le sommeil attise la curiosité.

Ici aussi, il y a des pommiers et des oranges,
Des fruits d’or et d’argent…
Ici aussi, le rêve culmine à son apogée.

Celui qui a trompé Héva lui offre l’autre chaleur,
L’éclat d’un soleil miroitant et l’eau des lacs
Où abondent les poissons,
Quand la sève devient prière
Pour que le mystère du sang
Découvre la secrète fidélité.

Tout s’obscurcit, s’amenuise, s’éteint afin que la vie se libère des étreintes sulfureuses et ténébreuses. Pleine lune sèche comme l’écorce d’une peau tendue sur l’arbre vert, couronné d’épines, qui se meurt de l’hiver trop vite arrivé.
Le regard délaisse l’automne enfui, s’éveille dans la clarté de l’aube et le jour longtemps perdu où il n’y avait nul besoin de parole.

Il lui disait cette autre terre
De feu et d’ardeur
Où les reins se consument de plaisir,

Puis, il pleurait... il était seul,
Et tremblait.

L’œil fixe l’antre sombre, le lieu de l’autre inconscience, les nerfs sont flexibles, semblables aux longs roseaux des bords de rives incendiées. C’est un jeu, une patience, et le jour longtemps perdu. Des rêves oubliés. Une quête, un cri d’absence.

Dans le gouffre où palpite l’azur, la femme jette à pleines poignées les graines de ses rires. C’est une danse limpide sur les ailes de l’abondance, dans le verdoyant jardin mouillé, qui portent dans ses flancs les ombres du renoncement.

Elle traversera le désert, une lanterne à la main, en rupture tiède sous une voûte de palmiers dorés.

Pierres desséchés, rochers blancs comme le sel.
Aridité. Terre sauvage, Eve,
Comme Eurydice, comme Ophélie
- Vierge endormie –
Ou morte inclinée vers le silence des herbes,
Parmi les fleurs et les fruits et les épines aussi,
Traverse les ocres odeurs de la mort,
Découvre la peur…

Elle cachait son ventre rond sous les feuilles ajourées,
Et jusqu’au plus intense ressac du sommeil d’Adam
En un alchimique éblouissement
Enfantaient les hommes de l’ère nouvelle…

Adam buvait dans le cœur de la rose
L’eau vive et le sang versé
Et le sel des pores de sa chair,
La sueur d’une croix de vents, d’or pur,
Lorsque se déliaient les herbes fertiles
Qui enserraient la corbeille d’osier
Où reposait le nouveau-né.

Adam écrit sur le parchemin de son âme extasiée
Les mots venus de l’ailleurs,

« Sa gorge : amande creusée
Qui transfigure l’obscurité,
Ma lumière bleue aux jambes océanes,
Qui danse dans le large sillon
De l’espace; m’offre l’humus,
La cendre et la poussière
Dans la coupe de son cœur…

L’amour est notre révélation,
Notre liberté car malgré l’inflexible loi
Du tombeau qui s’ouvrira,
Notre mort sera l’ultime étape
De l’offrande totale,
Et nous retrouverons le jardin des orangers. »

Dans la crypte où gisent les lambeaux des peaux animales et les masques de feuilles et de pétales, dorment les innocents.
La forêt ouvre ses sentes ensommeillées et le sanctuaire aux pierres humides se voile d’une lueur ambrée.
Elle marchera longtemps, assoiffée, exténuée, pauvre, les mains déchirées par les épines des cactus. Elle aura murmuré sa plainte dans le ruisseau aux ondes gracieuses et puis, elle chantera, ployée, sans larme et sans cri, d’argile et de vagues, pour chavirer sur l’autel de ses jours.

Mendiante du livre du crépuscule, elle se recueillera là où les Anges aux ailes de feu ont planté les arbres verdoyants, et sa mémoire s’ouvrira.

Au jour où passent les oiseaux noirs dans le ciel, elle sera muette en sa délivrance.

Devenue généreuse de silence, elle saura que chaque mot est porteur d’une flamme.

Déjà, tout se tait dans le jardin des saisons abolies.
Car c’est la nuit des fragilités exquises.
Elle sait que la joie est ce rayon de soleil sur le givre de l’hiver. Que la paix est cette blancheur éclatante d’un ciel hivernal. Que le don est semblable au chant de la mésange bleue. Que l’humilité est la fleur qui naît, s’offre et se fane et que l’on trouve le vrai silence dans le repos du cœur.

Alors l’épée de lumière tranchera le cordon ombilical qui la lie à la terre. Sa marche sera devenue diaphane.

Si longtemps, la terre sera attentive à la douleur des hommes, tant de vertiges la parcourent, la cisèlent, que le sculpteur de la Matière ne peut achever son œuvre. Il y manque la Voix qui vient de la Montagne sainte, et le rire des landes sauvages qui déchire le temps des complaintes.

Il faudra que le glaive d’argent tranche les herbes nomades. Et qu’à l’ombre du tilleul puisse s’asseoir l’innocence.

Laissez-moi voir encore le Nil sous le soleil, laissez-moi encore danser sur les herbes fraîches, laissez-moi encore chanter dans le temple qui ne sera que ruines, demain…

Mais je m’éteignis, flamme emportée par le souffle du vent.

De cuivre et de sève, les caprices des tièdes agonies de l’histoire. La terre est une mosaïque de mille horizons colorés, aux légendes éblouissantes.

Veille de vendanges quand Eve se délivre de toute insomnie pour admirer les orangers fleuris. Au sein des ruines et des mousses, enchevêtrées, la grotte sommeille dans le vertige de septembre. On devine en sa plainte le sanglot de l’âme païenne.

Là où l’agonie célèbre la liturgie des absences
La colline se drape de feuillages.
Des papillons aux ailes d’or et de feu
Volètent entre les arbres de cette basilique
Végétale. Ève abandonne dans l’eau
Qui a tremblé sur le feu
Les menthes verticales.

Avant que la lune ne dépose ses lueurs
Sur les parures de la forêt
Elle ira marcher une dernière fois
Sur le sauvage sentier des bergers.

Nuée béante dans l’ocre entaille
Était l’approche, la parole frémissante.
Haleine de thym et d’origan
Dans le jardin du retour,

Chaque exil transfigure
L’instant de la mort.

Sur le poème en tige verticale d’un Orphée qui pleurait, la Vivante au front bleu, désormais, porte l’étoile du matin entre ses mains légères. Elle entrouvre ses paupières.

Une rosée lumineuse unit les chairs assoupies, le matin frissonne. Ils exhalent leurs derniers souffles en un sublime accord, déposent leurs lampes secrètes, s’envolent vers l’arbre aux fruits de lumière.

Ils se tiennent tous deux
À la lisière du jardin des orangers

Et dorment du sommeil de la dernière mort
Au creux caché du Mont du Crâne,

Là où la vigne portera ses fruits rougeoyants
Et gardera mémoire des Anciens.

Subtil silence : le Verbe déjà se fait chair,
Chair d’exquise promesse.

jeudi 21 octobre 2010

L’escalier aux perles de lumière.

Sur une photographie du site "écritures de lumière" : l'escalator. 

Des voyageurs sans visage qui passent ainsi, devant moi, et ne regardent pas, ne regardent rien… Peut-être, entendent-ils  les pas, les claquements de talons, le brouhaha de la ville. L’escalier : une altitude d’attitudes et de gestes comme une danse oubliée, un mouvement saccadé, coloré. Des corps qui semblent tourner ; chambre d’hôtel : voyage ou départ.

Ne te retourne pas ! Il reste la trace légère du funambule qui était resté là, debout et seul, toute une journée, dans son bel habit de Pierrot blanc, pantomime aux parfums printaniers, longues jambes blanches, nuages arrachés au ciel. Une clarté laiteuse, comme un drap d’hôpital, théâtre ou scène de spectacle… Déambulation. Linceul ou suaire… Et ces taches de joie : violet, jaune, bleu, rouge. Fleurs, frissons ou tic-tac des ombres, mouvance désordonnée. Un bout de rêve aux ombres grises et violettes ;  porte ouverte, vite, se faufiler.

Des mosaïques, pour une chapelle ordinaire d’un jour quotidien, les anges s’ennuient, tanguent entre les volutes éblouissantes. Il manque le « chante-vent », léger, bruissant devant les fenêtres du restaurant qui se situe à gauche de  la station de métro. Marcher sur ces lactescentes dalles, de l’eau peut-être ou un merveilleux miroir ? Le silence d’Alice endormie dans la chambre où tombe son livre.

Les couloirs du métro, un dédale, une pieuvre luminescente qui s’étire sous la terre grondante.  L’une de ces femmes s’appelle peut-être Ariane. Ou Cassandre. Les songes de Cassandre comme fil d’Ariane… Des corps de femme ronds et neigeux, lunaires et qui déambulent… Bulles de clarté, ballons envolés dans le long couloir peuplé d’ombres pressées ; Vite, vite, la rame arrive, vite, vite, le temps passe, je suis en retard, je vais rater la correspondance. Vite, vite, avale ton petit-déjeuner, lave-toi, lève-toi, vite, vite… Un, deux, trois, je saute dans la flaque de lumière. J’entre dans un autre monde. Le pays des magies. Marie Poppins, où as-tu caché ton parapluie ?! J’aime cette féerie, je descends l’escalier, je suis écartelée par les couleurs presque trop violentes et je disparais : la nappe brillante m’engloutit.

Je marche, traverse un jardin de violettes et de cerises, sous une paisible alcôve d’arbres feuillus. Des buissons et des pierres épousent leurs formes, s’enlacent dans le jour naissant. Une fleur jaune géante apparaît, elle tourbillonne, voilà qu’elle devient femme….

Là-bas, la terre est emplie de pleurs, de cris et de larmes. Dans le secret des poussières. Mémoire vacillante des peuples. Nous marchons sur les pas des autres. La terre est lourde de joies et de rires aussi… Y a-t-il une image sans image ? Où le blanc et le noir se sont tellement imprégnés l’un de l’autre qu’il n’en demeure que l’incisive lumière ? Une autre révélation.  Une épiphanie : Véra Icona, traces  sur le linge blanc des noces antiques, page blanche du condamné, linge des moniales, et l’empreinte sur la pierre, la main dessinée. Mémoire ou symbole ? Silence dans le silence des grottes. Le visage perdu à rechercher dans tous les visages. Le regard ou la beauté du regard perçu il y a si longtemps et que l’on cherche encore… Et toujours.

Ici nous sommes dans une grotte contemporaine. Les amants et les manants passent cette porte banale, fuient ou courent le long de l’escalier, d’avant en arrière, toujours plus vite, s’enfuir sur les marches de cette marelle sans case. Maintenant, on dirait qu’il y a un ralenti, un arrêt dans le mouvement, presqu’un silence, un mystère.

Il ne reste qu’un nimbe diapré là où la nymphe a joué. Lentement, la brume d’été se disperse. Les paroles s’estompent. J’entends un rire léger et parmi les voiles, tu vois cet Arlequin qui se masque et se cache. Carnaval. Feu d’artifice nocturne. Quelques pétards éclatés, des cendres jonchent le sol.

Une ambiance de manège enchanté. Sans la musique.

Le mur va se déchirer, se vriller. Parfois, face à une peinture ou une photographie, on imagine ce qui se cache derrière le mur, ou derrière l’escalier de pierre. L’autre matin, assise chez le médecin, j’attendais et  je pénétrais peu à peu dans l’image qui représentait un vieil escalier de pierre et un mur moussu. Derrière il y avait la mer, je sentais son hâle, ses odeurs, et le chant des vagues m’imprégnait.

La nuit qu’il faudrait crier, le jour ne va plus nous aider à vivre, ni à grandir ;  comment ne plus avoir peur de ce qui fait si mal ? De ce qui emprisonne ? Un imprudent somnambule traverse le couloir du métro, fort comme l’arbre qui s’effeuille ou fragile, oiseau enfermé dans sa cage… Il cherche et se demande pourquoi la mort est si étrange. La bouche aux lèvres soudées de cendres, lie-de-vin dans le lit de la souffrance. C’est un autre œil qui lit l’espace à la vision : verte frondaison des nuages et des herbes si hautes.

Avant tout, il y avait le foulard rouge, le sac rouge… Ne pas passer : feu rouge.  Tache écarlate qui va, d’image en image, dans le creux des albums photographiques, comme ces bons points oubliés dans le grenier. Cerise croquée, robe tombée au bas du lit. Et la fleur, rouge aussi, « rose envolée ». En prendre les pétales, foisonnants, dans ses paupières – closes – et Lolita qui porte son drapé parme à la Grecque sur ses hanches fauves. Elle s’éloigne… Avant de bouger,    elle regardait, elle attendait. Elle aussi somnambule ou Colombine. Elle pose sa main dans le verbe du temps, tout éclate : grains de grenade pourpre, Perséphone se libère, se rit de toutes choses entrevues.

Réflexion d’un appareil à réflexes. Rolleiflex ; Qui roule et se fige, ardeur des doigts, le jeu flexible et vacillant des ombres et clartés dans la chambre de la belle endormie ; la photographie comme dormante au bois des mémoires partagées.

Des arabesques végétales tourbillonnent, cherchent l’enlacement des plantes sur les aspérités du mur, les ombres ne se faneront jamais. Au pays de la blanche terrasse, la colline si loin, les tasses de café vides sur la table près de la fenêtre entrouverte, le livre encore ouvert… Et les tours du vieux château qui dorment, dorment encore et à jamais dans le repli de mon cœur.

J’aimerais à jamais cette maison blanche frissonnante au matin de Pâques et les chapelets du muguet du premier mai, ces fragrances nouées au scintillement de la marjolaine dans le jardin des replis, des intériorités spontanées. Les oeufs colorés sous les primevères, le lapin qui s’enfuit, juste une patte blanche… Je l’ai vu, le lapin des matins fleuris. D’ailleurs il a perdu sa corbeille devant le noisetier.

Corps d’aurore emmitouflé dans ce sari primevère : annonce de jouvence ; elle portait toujours ce tissu léger, couleur de violette aux pieds des arbres, cet élégant drapé précieux. Femme vivante, végétale, une Eve à la chevelure ondulante, de bord d’eau et de ciel si bleu… Le brillant scintillant dans le creux de sa narine, et le jaune des pommes dans le panier : « les pommes faisaient rouli -roula… Trois pas en avant, trois pas en arrière… » Tant de clarté et de vives couleurs :  un matin ensoleillé aux éclats de vitraux.

Nous portons tous en nous une maison trop blanche dans la fraîcheur du matin, un bol de petit-déjeuner oublié sur la table,    une rame de métro qui nous attend ou que l’on attend, des bruits  et des cris dans la rue et la certitude d’une solitude qui ne nous laisse jamais tranquille… Mais qui nous emporte au-delà de nous-mêmes vers tous ces rêves perdus qui s’éparpillent en toute ville…Petits papiers envolés…

Dans la forêt, je n’ai jamais vu le loup. Mais je sais que lors de  certains équinoxes, il promène une lanterne et chante la complainte  de Lucifer. Blanc, le vin dans le verre de cristal, vapeur de raisin écrasé, foulé dans la claire densité de la cave noueuse. Pied de vigne. « Margot labourait la vigne » dit la chanson ; fruits mûrs foulés et les  pieds nus, comme des îles perdues, fraîcheur et sueur qui flânent sur la chair, pulpe de septembre.

La femme s’est penchée, elle ramasse son ticket,. Quelques gouttes de sang, à son cou brille une licorne d’or.  Je marche lentement, je les suis tous, je ne sais où ils vont, ainsi. Mais je suis étourdie. Il faisait très chaud dans le compartiment du train. Comme en 1976, l’année de l’invasion des coccinelles échappées d’un élevage. Une coccinelle s’est posée sur le sac rouge de l’homme pressé. On la remarque à peine.  Moi je compte les points noirs sur son dos.

Une petite fille saute dans une marelle tracée à la craie rouge : elle chante : « coccinelle, demoiselle du Bon Dieu, réalise mon vœu. »

Mais bientôt chacun se disperse, je reste seule au pied de l’escalier diaphane et mon regard joue avec les perles de lumière.

 

 

 

le vélo et le terril


La nuit allait venir. Je posais mon vélo entre les ornières et les cailloux, sur le sentier de traverse qui sillonnait la terre sombre au pied du terril.
Des lampadaires éteints.

mercredi 20 octobre 2010

la Barbie aux coquillages

le terril dune



C'était un autre rêve de terril devenu dune et le ciel comme une vaste mer. L'air aux odeurs marines et des poissons dans le ciel, jaunes, bleus et verts. 

photographie: bassin minier Remi Guerrin Essai Tirage pigmentaire recolorié

mardi 19 octobre 2010

le terril bleu

C'était un rêve bleu et long
comme un parfum d'hiver
les fleurs muettes au pied du terril
le chemin des pommiers, oublié. 

Des arbres nus. 

Photographie et  tirage pigmentaire Remi Guerrin, recolorié.

extrait du livret " l'enfant trop blanc "



On entend le rire du bébé couché là-bas dans son berceau un peu trop blanc. Les rideaux de la chambre sont tirés. Il fait bien trop chaud. 

Eclat d'un regard, clapotis de l'eau sur le bord du puits. La bouteille d'eau est vide. 

Je me penche en arrière vers la voix qui raconte une si belle histoire, un conte de lumière pour l'enfant très blanc. 

Et le silence sur le visage si froid, pourquoi si léger, si frêle, l'enfant parti si loin comme une eau qui tremble, une eau d'air de pluie du temps qui rit des mousses vertes. 

La mer était bien bleue, un ciel inversé qui nous regarde... Aux nuages de blanche neige. Il fera froid demain. 

photographies: bouts d'essai  Remi Guerrin

le chaperon rouge a rencontré le chasseur



Elle a rencontré le chasseur dans la forêt, mais le chasseur a tué le loup et le chasseur a dit à la foule :  " c'est pas moi, je n'ai pas tué le petit chaperon rouge, c'est le loup, c'est lui, ce n'est pas moi  ! " . 

Ceci en mémoire pour "les violences faites aux femmes", à toute époque, en tous lieux, pendant les guerres, pendant les révolutions, au quotidien, en France et ailleurs dans le monde... L'enfance violée, tuée ; la femme détruite, abandonnée, torturée....

le petit chaperon rouge, il était une fois....



Elle est allée dans la forêt, c'était il y a longtemps, et elle n'est jamais revenue...
Elle avait perdu son panier, sa galette  et son pot de beurre car on ne les a pas retrouvés auprès d'elle ;  certainement qu'elle a été tuée  par convoitise ou à cause de la famine. 

dimanche 17 octobre 2010

La mer en enfance



Des corps sur la plage

Les vagues et l’écume dans leurs regards qui ne nous regardent pas

L’homme contemple au loin. La femme assise tourne la tête.

Leurs ombres se couchent sur le sable.


Fête de l’Ascension

Juin …

 

C’est un jardin de sables et de coquillages, où la moisson des vagues s’engrange dans la mémoire, comme si, là-bas, plus loin, rien n’existait plus. Les enfants courent, pieds nus, dans l’eau froide et vaste, morceau de ciel suspendu entre la ville et la grève.

Sur la digue, quelques promeneurs qui semblent égarés, des traces de pas mouillés sur le ciment où souffle le vent. La porte de la villa est ouverte. Quelques personnes sont assises là, sur le mur de pierres et regardent au loin. D’autres personnes, debout, bavardent…

Alors commença le rite du voyage. Comme un exil , un temps de multiplication de pluies et de contacts, sous un ciel tour à tour profane ou immense.

Les ondulations de l’eau tremblent sur le rivage. L’accent du remous s’imprègne d’un inoffensif clapotis. l’ombre glisse sur les vagues, s’enfonce lentement dans la profondeur de la pélagique vallée. Il ne reste plus qu’un apaisement frémissant de fleurs d’écume.

La tonalité de cette station balnéaire se retrouve sur les images des carnets de voyage, comme une forme arrachée à la terre et au ciel, comme un dessin d’enfant, substance étrangère à ce qui nous entoure quotidiennement.

Toute migration peut être histoire à raconter. Et dans ce moment qui semblait improbable et qui nous habite finalement, nous trouvons la grande ligne bleue de l’horizon. Il faudrait parfois se persuader que le temps nécessaire à la maturation ne sera pas long. Il est si difficile aussi de patienter, de s’ouvrir à la mémoire du vent, du sable, du corps de l’enfant.

Mosaïque de miroirs brisés dans la blanche fraîcheur du jardin. Ils sont assis là, se photographient et parlent. Les seaux de plage s’ourlent d’écume. La mer offre son limon à la fertilité des regards. Il n’y a d’indifférence que sur les visages qui ne sont pas écho. Les saignées de la terre portent en elles le rythme primitif du souvenir et deviennent graphisme.

La mémoire est étrange, striée d’opaques nervures,- semblables aux lignes sur la plage humide,- et elle garde en elle les regards croisés, les grains de sable et les fruits de mer brisés, enlacés aux vagues vagabondes.

Nous sommes arrivés plus tard… sur cette côte opalescente . Avec nous, le souvenir de ce corps rigide, de l’auguste sévérité de la mort que nous venions de quitter. Il fallait maintenant regarder en avant et s’ouvrir, se libérer de ces longues semaines d’agonie. Il fallait transcender ce que nous venions de vivre pour accéder à l’imaginaire du sable, de la plage et à la paisible rumeur de cette ville en bord de mer.

Nous allions comprendre, sentir et toucher la densité du vent. Nous allions nous reposer, de ce repos des dunes en mouvance, de ce repos qui esquisse l’intensité de l’instant.

Nous avions besoin de ce lieu de promenades , de mouvements ; de ces sculptures de sablon et de ces herbes folles, du crépuscule qui n’en finit pas de descendre et des longues aurores parfumées d’ambre marine.

Dans les embruns, dans la pluie ou sous les rayons de soleil, c’est toujours le sable du rivage qui forge notre intériorité. L’enfant referme ses mains sur les dons de la vague, abandonne son petit seau de plage et contemple le ciel.

Le temps se grave mystérieusement sur les coquillages, s’insinue sur les vitres des cafés, et ce, au rythme des marées. Les gens sont assis dans le restaurant, ils mangent, ne voient plus la mer qui s’échevelle et gravit les sommets célestes. Elle devient mégalithique, plombée ou d’ombre dérobée à cette lune Ascensionnelle.

L’enfant s’amuse seul. Il cherche dans les gouttes d’eau les syllabes d’une future aventure et s’arrête, immobile face à l’énigme de la vague ,avant de s’élancer à nouveau pour attraper une mouette farouche.

Aux figures géométriques des blockhaus, dispersés comme des roches éparses, burinées, battues par le sel et les gerbes d’eau ,des personnes accrochent des foulards ou gravent leurs noms.

Les dunes sont longues, où errer et se perdre , parfois courir avec le cerf-volant au- travers des marines éclaboussures, et tracer un chemin qui demain n’existera plus.

La maison aux lumières allumées regarde vers la plage. Ceux qui passent là ne voient qu’un espace indéchiffrable d’escaliers et de portes, comme une échelle suspendue entre quelques murs de chambres.

Des photographes déambulent, appareils à la main ou pendus à leur cou et observent, cherchent, attendent, captant enfin cet instant qui deviendra le leur.

Parfois, pourtant, tout est trop blanc, trop calme : la mer, les vagues, la lumière au loin. J’ai besoin d’une autre clarté, vive, fluide, presqu’ impersonnelle.

Il fait trop chaud aujourd’hui. Sur les dunes, le sable vole pourtant. Il y a toujours du vent à Merlimont. Les enfants construisent un château de sable, s’enfouissent dans un trou creusé profondément et nous ne voyons plus que leurs petites têtes. A la terrasse du café, nous nous sentons si bien et nous rions. Tout devient prétexte à la plénitude.

D’écume salée en terre oubliée, de rivage en espace d’enfance, la mer meurt et renaît sur ses dunes éclatées. Comme un éclat de neige, ou de givre blanc ; comme la courbe d’une paupière, la danse d’une main qui se tend.

Les chairs sont hachurées de sel marin, d’air vif, de cette substance semblable à l’eau de mer et qui laisse son empreinte jusqu’au fond de l’âme.

Des bras, des jambes, des corps se devinent derrière les collines ensablées. C’est ici, un fragment de terre et d’eau, de dunes et de mer, d’ abyssale incandescence. Mouvements de masques, de vêtements, de portes qui se referment, d’ombres qui s’alignent, et de couleurs éclatantes.

Il n’y a plus personne dans la cabine téléphonique mais si tu tends l’oreille, tu entendras mille mots qui s’inscrivent sur ces vitres embuées.

Là où la mer et le sable se courbent, l’enfant est assis dans la barque blonde. La ciselure pâle des eaux presque vertes se marquent sur son corps. Le sable reste humide , travaillé par les ondes salines, léger pourtant pour les mains qui le modèlent. L’œil façonne dans sa chambre obscure l’image qui se lie à la monotone lamentation des vagues.

Ne te retourne pas, il faudra partir avant que ton image, ton château soient terminés. Déjà, s’éloignent les mouettes. La plage se gonfle d’un poids d’enfance incertaine . L’enfant va et vient au long des dunes avec son seau jaune empli d’eau de mer.

Il y a longtemps, j’aimais venir ici, et vivre l’écartement de la digue. Les souvenirs affleurent sur le paysage. Hier et aujourd’hui se mêlent, s’emmêlent. Il n’y a alors plus de lamentation des vagues mais une paix joyeuse et pleine qui transforme ce que je regarde.

Je suis déjà venue ici. J’ai enfin en moi cette certitude de comprendre la fugacité du temps qui me ramène en ces lieux où il peut s’inverser, comme un gigantesque sablier que quelqu’un aurait retourné.

Les vagues glissent, s’enfantent l’une l’autre. Le rythme de la plage où s’éparpille les grains de sable s’imprime dans mes yeux. Le navire de l’imaginaire s’éloigne au long des flots. Je tisse une autre patience avec sur la langue le goût du sel.

La plage est minérale, lavée. Proche et lointaine. Je marche et j’écoute le chant des coraux, je m’arrête devant le squelette d’un crabe et je ramasse une plume d’oiseau des mers. Les tiges fermes des oyas s’unissent aux tiges de mes silences, et il n’y a plus rien au-delà des monts de sable, plus rien au-delà de la mer, plus rien au-delà des cimes nuageuses, plus rien qu’une île d’enfance, perdue il y a longtemps et qui resplendit en un rêve de jardin marin, où toute chose sommeille dans l’immanente chaleur.

Merci à Athéna pour cette photo.

Asklépia



L’an 2057- CHRU Lillenville-

La nuit tombe. Le crissement des roues des chariots chargés de draps est strident dans la cour du vieil hôpital. Une odeur de soupe se mélange à celle de l’antiseptique. Des pas feutrés, une porte qui claque, le son pointu d’une télévision.

Je dors d’un sommeil entrecoupé qui me rend indifférent à moi-même. Le professeur du service et ses internes sont passés ce matin dans ma chambre anonyme. Moi aussi, je suis un anonyme. Ce qui est désigné, c’est le nom que porte ma maladie !

On entre, on soulève le drap, on m’observe et j’ai froid ! C’est la fraîcheur des regards qui me glacent plutôt ! Car l’ambiance est surchauffée. Un brouhaha de mots, un jargon incompréhensible et les voilà repartis ! le drap reste ainsi, au bout du lit, mon corps figé, la porte entrouverte.

Je n’ai rien compris. Personne ne m’a adressé la parole. J’essaie de dormir, de guérir, je veux partir.

Ces murs gris qui m’environnent, ces barres de fer, ces grésillements, ces grincements, ces tuyaux dans mon nez, dans ma gorge, qui me font mal. Je tombe au plus profond d’un rêve.

Je vois un jardin. Je cours vers mon chien qui frétille de la queue et qui aboie.Oua ! Oua ! Non, ce n’est pas lui, c’est un robot soignant qui me demande si je dors bien ! Qui me retourne, me soulève, m’asperge d’eau de Cologne, au parfum trop fade , si glaciale quand elle me coule dans le dos et dont la main énergique frotte ma peau quelques secondes puis tout disparaît : le couloir illuminé, le couinement du chariot, les voix…

Il ne reste qu’une lueur diaprée qui joue dans l’interstice de la fenêtre. Lentement, la brume enneigée de la chambre d’hôpital s’estompe. Une dame me conduit à l’intérieur d’un vaisseau d’argent aux commandes extraordinaires et je traverse l’univers. Je vais vers une cité inconnue située plus haut que les galaxies.

Je suis pris dans un tourbillon de pluies célestes. Le vaisseau se disloque, je chute pour atterrir dans une eau plus sombre que le cratère d’un volcan éteint. Je crois que je suis mort.

J’entends venir du lointain une mélodie si douce et je constate que je suis dans un jardin plus grand que celui de ma maison, au cœur d’une cité élégante. C’est ainsi que j’arrive sur la planète Asklépia. C’est une étoile étonnante éclairée de lueurs vertes qui tournent en cercle autour d’elle. Elle se déplace en vrille dans l’espace. Ce mouvement engendre une musique semblable à un chant de source.

Stupéfaction ! je ne ressens plus aucune douleur. Je me sens si bien. Un homme, coiffé d’un chapeau pointu, revêtu d’une longue robe blanche ceinturée de vert m’a tapé trois fois sur la tête avec un bâton en or. Des serpents aux couleurs d’arc-en-ciel en sont sortis, ont tourné trois fois autour de moi.

C’est alors que j’ai vu jaillir de mon corps un monstre hideux au visage déformé par la colère, une espèce de génie malfaisant, la représentation de ma maladie. Ce cancer qui m’est étranger, qui est entré en moi sans que je m’en rende compte.

Ce crabe taciturne, rusé qui s’est joué de ma vie. Je le vois, il vocifère, il gesticule.

Trois êtres étranges en robe dorée l’enferment dans une fiole transparente. L’un d’eux dépose le flacon sur une étagère au fond de la pièce éclairée de lueurs oranges et verdoyantes.

Je découvre que je me trouve dans un espace-temps différent. Les deux aiguilles et les chiffres de la montre que je porte à mon poignet ont disparu. C’est le laboratoire de Télesphore, une grotte dont la porte taillée dans le roc est une mandorle. De petites étoiles s’y agitent, des lueurs singulières dansent sur les parois de pierre. Elle est ouverte vers le haut, comme un observatoire. Je vois une lune pleine. Elle déverse vers le centre du laboratoire un cône de lumière. Je dois me placer en son centre. C’est alors que je deviens plus léger, plus transparent, qu’une force entre en moi.

Je retrouve Panacée, la dame du vaisseau fantastique. Elle tient entre ses mains un globe en or qu’elle sépare en deux parties. S’en échappent des virus, des microbes, des bactéries. Une pyramide constituée de flammes s’élève autour d’elle, devient une colonne de feu qui tourne en spirale. À son sommet, un serpent émeraude s’enroule autour d’une croix.Une lionne gigantesque apparaît. Elle s’avance vers moi en faisant jaillir de sa gueule ouverte des myriades d'éclairs enflammés. Je tombe, je tombe.

Je suis allongé sur une herbe chaude, entouré d’arbres fruitiers miniatures qui portent de minuscules lunes d’argent.

Il est évident que cette cité existe depuis longtemps, que le futur appartient au passé, que depuis des temps lointains la mémoire de l’humanité contient le secret de la vie et de la mort.

Celui qui a visité un jour cette planète aux reflets d’herbe ne pourra l’oublier. Il suffit d’avoir été hospitalisé un moment pour avoir eu en contact avec cet autre monde. Un regard dans un miroir, une horloge qui s’accélère, une sonnette qui tinte toute seule. Non, ce ne sont pas les fantômes qui habitent les couloirs de l’hôpital, ce ne sont pas les morts qui hantent l’espace hospitalier mais les hommes et les femmes d’Asklépia .

L’aube se lève. Télesphore m’offre un fruit d’argent en forme de lune. Je le salue. Panacée m’aide à monter dans un vaisseau transparent. Nous descendons en vol piqué vers la terre, atterrissons sur le toit de l’hôpital où se cache ma chambre.

Je tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre le long d’un tunnel lisse comme un miroir, un vertige me saisit, je traverse un voile qui se déchire.

Je suis allongé dans mon lit, un fruit brillant dans la main. Je demande à l’infirmière qui entre :

"- Ce sera comment l’hôpital du futur ?

-L’hôpital du futur ? C’est quoi d’abord le futur ?

- Et si mon rêve devenait réel ?

-Chaque rêve se réalise un jour…"

Je lui souris car je sais que demain je sortirai. J’ai vu que sur le cadran de sa montre , il n’y avait aucun chiffre, aucune aiguille et qu’elle porte en pendentif une lune d'argent.