vendredi 20 mai 2011

Fosse 3 Méricourt

J'aimais, assise dans le jardin inondé de fleurs violettes et bleues, poussant la balançoire qui grinçait, regarder cette roue du chevalement qui tournait et montait, descendait... Elle grinçait également. On entendait aussi une sirène stridente. Puis d'un opaque silence montaient des voix et des bruits de pas.
L'école n'était pas loin, incrustée entre l'église, le presbytère et les corons. Une école sévère, ornée de marronniers. Je dis ornée car ils étaient là, comme une belle parure, dans cette cour cimentée, aux hauts et longs murs qui faisaient frissonner. Oui cette idée d'être enfermée était grinçante elle aussi.
J'aimais tant me lover contre le tronc de l'arbre, lui seul entendait les histoires que je m'inventais : cette maison blanche avec un piano et la longue dame qui jouait dans le soir qui tombe ; cette bibliothèque mystérieuse aux douces boîtes à musique et les albums d'images sur l'étagère de bois de noyer sculpté ; les livres de cuir emplis de photographies qui s'ouvraient au son d'une lente musique, les pages emplies de féeries, de naïves espérances, de ces sortes de voyages que l'on ne connaîtra jamais. . Ah! j'aimais tant rêver et imaginer d'autres mondes, un monde où j'aurai le droit de vivre, un univers où je n'aurai pas peur, un silence qui serait si beau, comme une pluie d'étoiles.
Les visages, les portraits dans leurs cadres dorés, de bois, argentés, posés sur les meubles vieillots et précieux en une tendre succession de dormitions insoupçonnées me regardaient chaque jour et j'imaginais qu'ils étaient là, avec moi et je les écoutais parler, la nuit, lorsque tous dormaient sous la lourde couette de plumes d'oies.

extrait le jardin des enfances

"... Sur la nuque errante des collines se posent les ailes des signes pluvieux. Le gazouillis du lilas poignarde l’obélisque liquide. Un poivre d’oasis pimente la lente migration des herbes fruitières.

Sous la figure blême du matin, se dressent les barrières des jardins.

Un chat se montre à une fenêtre. Un enfant roule à bicyclette sur la route poudreuse. Il n’y a aucune animation dans les rues. Tout semble désert. Il fait certainement trop chaud. Où il n’y a personne.

Là où l’inconnu qui observe emprisonne les détails et dénie tout oubli, nous pouvons laisser, inexploré, l’insolite rêve de l’enfance car les oreilles lointaines de nos ancêtres sont sourdes à nos puériles insistances. Et plus personne ne peut raconter l’histoire de ce pommier, de ce fleuve, de cette route. La mémoire est devenue indécise. C’est peut-être mieux ainsi. Chacun peut alors créer sa propre histoire. Le lieu devient inaugural.

Immobile pénombre. Éphémère clarté. Tout se succède, se complète et se ressemble. Pour un arbre de neiges, de ronces, d’écailles en roses d’anthracite, quand s’éparpillent les cris des enfants qui s’éloignent. Combien de silence faudrait-il encore pour que tombe la pluie ?

C’est au croisement du carrefour qu’apparaît la lueur innocente d’une robe d’enfant qui danse. Un peu plus loin, se dresse le mur du verger.

Lorsque perle sur les lèvres entrouvertes le lait vernal, et qu’ondule dans le regard l’ivresse des lucioles d’or, tu parviens à l’épilogue d’une histoire mais tu ne peux méditer, là où jadis, résonna l’écho des canons. Là où jadis, les étrangers furent insultés. Tu peux juste graver la beauté d’un geste, la courbe d’un espace, la magie d’une plante et c’est bien cela qui importe. Le reste, au demeurant, semble superflu. Il ne servirait à rien de méditer, de songer quand il suffit de voir et de regarder pour découvrir l’immuable.

Ce sont les silencieux qui attirent la pluie sur les plaines du Nord. Il y a ici, comme un peu plus de tendre discipline : les herbes s’accrochent aux grillages en une harmonie de formes, les branches des pommiers épousent l’enceinte de pierres. Il y a là le goût de l’homme de se tenir en repos. Comme une particule d’immortalité. ... "