vendredi 6 avril 2012

Audresselles





Audresselles, la maison blanche au creux du vent



"Et tu entreras dans la lumière..."
Il était une fois...
Une maison blanche, haute et large comme un navire, dans un jardin aux troncs noueux.
Je ne la connaissais pas, je l'avais vu, il y a longtemps, sans vraiment la regarder.
C'était une maison de bord de plage, une maison estivale emplie de monde, en plein été,


quand il fait chaud et que ce sont les vacances !
Maintenant, je revenais dans ce village pour un week-end, un temps de repos et c'était le printemps.
J'allais me tourner, tout d'abord, vers deux autres maisons qui appartiennent à ma mémoire d'Audresselles : "Les poissonnets " et " le ruisseau". Puis je me laisserai prendre par l'ambiance de la maison blanche.


La maison blanche au creux du vent
« Invisible était l’âme
Déchirée en plein vol »
Arséni Tarkovski
Les vagues dansaient, danseront toujours... Dans le jardin apaisant de la maison verte de Gisèle, rue du petit ruisseau, j’aimerai encore m’asseoir. La fraîcheur des arbres, là-bas, et son hospitalité si conviviale et chaleureuse me manquent. Ce sera peut-être pour le 15 août...
Il y a si longtemps que j'y suis venue. Je suis passée lentement devant les volets fermés. Des travaux étaient en cours dans la maison "à louer" pour les vacances, juste en face. Une hirondelle des mers se posa sur le toit. Je m'aventurais aussi, un peu plus tard, devant « les Poissonnets », la maison de Suzanne aux volets bleus écalés. Je me souviens d’une cuisine à l’antique horloge, d’assiettes bleues, blanches, de fines porcelaines et de napperons brodés ; je n’ai jamais dormi dans cette chambre sombre qui donne sur la place. Dans le jardin, les cousins ont bâti leur maison.
Je découvre enfin cette maison blanche, au creux du vent, qui nous accueille. J’en ai entendu parler. J’en ai rêvé comme rêve un enfant d’aller à la mer.
D’ici, on croit entendre la mer, ses vagues, ses chocs, ses stridences et ses mouvances ; les doyennes mémoires de la plage abondent dans mon imaginaire, perturbent l'espace de ma pensée. Je vois des épaves qui jaillissent, surgissent ; des coffres pillés, des trésors entassés dans les caves humides. Des lanternes allumées se balancent sur la falaise aride. Sur la plage, les restes d'une épave épousent le sable et l'écume. Ici, j'ai parfois le sentiment d'être en Bretagne, la même emprise celtique, Arthur chevauchant la vague.
Les réminiscences de ce village de "pilleurs des mers" aux rires des herbes et des lyciets parsèment les rues. Les noms des maisons sonnent comme un poème, un désir à nos oreilles ; on les lit, on se les répète, hymne du terroir. Des corps et des mains de pêcheurs, qui ploient, se plient, se courbent, sous "un ciel si gris", aujourd'hui. Les rochers s’allongent au creux des vagues engloutissantes. Des naufrageurs hantent les pérets. La falaise sauvage est éclaboussée de souvenirs lointains, d'empreintes égarées. Vagues folles des solstices, vagues errantes ; chants dans la brume matinale : épouses de marins devenues sables et écumes.
Des lauriers, du romarin, vert était le lendemain dans le jardin des vents froids. Le long d'une chambre ouverte, l’enfance pérennisée ; un lit où se couche le soleil.
D’ici, dans la chambre sur la rue, à quatre heures du matin, on n’entend pas le chant des oiseaux. Juste de temps à autre, le cri d’une mouette. Je n'ai pas vu les phoques, c'est dommage. Les villas de la Belle Epoque s' ensommeillent. Et je pense à Fabienne qui vivait, lorsqu'elle était enfant, au Titus, lorsque son père, officier de marine,voguait au loin, sur les mers de Chine, et qui n'a jamais oublié la maison du fond du petit chemin qui s'enfonce vers l'infini.
C'est le soir. L'ombre qui s'allonge sur les marches de l'escalier retient l'atmosphère. Les portes entrouvertes s’inclinent. Une petite fille crie dans le jardin, assise sous l'arbre tordu. Dans la maison d’en face, une véranda emplie de jouets aux coloris de bonbons acidulés : rose, vert tendre, jaune poussin, cerise… De l’autre côté de la rue, sur l’appui de la fenêtre, des bottes d’enfant, rouges. Une fillette agenouillée dans le sable, les mains jointes, la mer est derrière elle, ne bouge pas.
Des peintures et des visages, tous ces livres qui ne sont plus jamais lus, parfois juste touchés, feuilletés. La caresse sur des mots à peine entrevus. Tous ces visages comme un baume, certaines meurtrissures aussi, dans le palpé de cette demeure blanche du bord des flots. Au centre de la rue. au creux du vent.
La nuit tombait, une pénombre au bois sec ; les lampadaires arrosaient le bitume de lueurs jaunâtres. Derrière la fenêtre, dans le souffle de la chaleur, nous regardions le village qui s'assoupissait.
Des lettres, des mots volent au travers de la pièce, quelques coquillages abandonnés sur la table. Des galets creux reposent maintenant sous le regard d'un portrait d'homme. Les enfants rient dans la chambrée. Saisir ce chant de la vie au vif. Ou se taire.
« Dans la chambre blanche
Où les mains de fées bienveillantes
Berçait lentement le corps d’un enfant, »
Arséni Tarkovski
Les poèmes d'Arséni Tarkovski rythme ce séjour. Les branches des arbres se croisent, les blés se ploient, la femme regarde au loin, elle fume. Le feu dans l'isba se propage. Pourtant, tout est silence. Tout est miroir : l'enfance, la vieillesse, la mort et la vie.
De noir et de gris, comme les ailes des pigeons, les roches sont gothiques et ouvertes. Certaines vagues tournoient toujours au creux de mon rêve. Des dentelles, des broderies rouges et blanches, les myosotis et les jonquilles, déjà fleuris, un peu de la Pologne qui vibre en moi. Les algues vertes séjournent au creux des rochers.
Je marche dans la maison, j'entends ce qui vient d'hier. Des pas s'éloignent, des froissements d'étoffe dans l’escalier, une porte qui claque. Dans l'atelier, au premier étage, l'album vert aux images qui racontent, qui se racontent, un résumé d’existence. Une histoire. Raconter, c’est souvent résumer… Inscrire une mouvance, le jeu des étoiles.
On a tellement envie de raconter ; en nous tous, ce désir de dire, de se dire. Mais on abrège. Les confidences sont closes au bord des oreillers. La nuit tombe. Jupiter est haute dans le ciel noir.
Les doubles rideaux d'arabesques sillonnés se ferment lentement. Tremblent légèrement. Jambes disparues, les flobarts sur la mer, le tracteur qui s'éloigne. L’eau qui s’écoule dans la vasque du lavabo ; de la vapeur sur le miroir. Du rouge sur le bleu de la mer. Les coquilles bleues des moules sont écrasées. Le visage s’estompe.
Lorsque les éléments minéraux s'inscrivent sur le mur neigeux, dans la maison blanche aux nervures spontanées, les volets blancs s’ouvrent sur le monde des disparus. Le rouleau d'herbe est attentif, contre le mur, face au jardin clos. Quelques rides tapissent le muret.
En ce lieu, c’est un creuset d'abandon, de délivrance ; le flot du monde ne se déverse plus.
La petite fille pose sur ses lèvres du rouge, rit aux éclats, se regarde dans la glace. Guitare debout contre un mur. Les poissons aux écailles argentées sont lavés, attendent dans un plat, alignés, le frémissement de la future cuisson, dans l'accueillante cuisine.
En bas, dans la chambre aux volets clos, c’est le sanctuaire de Simenon. Des livres anciens, une table jonchée de papiers, souvenirs et autres documents. Écritures, mots de poussière, désirs de vivre, photographies. Le silence est là, non pesant, mais tendre ; une ambiance feutrée, une présence discrète, presque évanescente. Une antichambre d’un ailleurs à peine entrevu.
Quelqu'un est parti qui va revenir. Le petit garçon semble attendre, seul, à côté de son vélo ; il chantonne. C'est un jour de grande marée. Son père est à l'église, il sera là bientôt. Un livre est tombé à l'étage ; c'est un récit sur la déportation des enfants durant la seconde guerre mondiale. On nous a dit qu'Hitler avait passé deux jours dans une chambre de l'hôtel de la plage. Qu'un homme appelé "le manchot" avait refusé de faire le salut militaire nazi lors de son arrivée. Des maisons de vacanciers furent réquisitionnées pour les soldats allemands et les officiers. C'était la zone occupée, face à l'Angleterre. La vie continue, tout se transforme, une friterie s'installe sur la plage, pour les estivants et les voyageurs...
Quelqu'un est parti qui va revenir. Anne observe la nuit qui tombe doucement. Elle photographie la rue illuminée. C'est un silence au goût de marjolaine, un clair de légendes. Marie, venue presque "par hasard" à Audresselles, marche sur la plage, en maillot de bain, tranquille. C'est l'automne pourtant mais elle n'a pas froid. D'ailleurs, elle ira longtemps, vers les falaises, d'un pas rapide, rencontrera un phoque, puis s'endormira, seule, dans une chambre d'hôtel. Déjà, le bébé rêve dans son ventre qui s'arrondira. Puis, le lendemain, elle rencontrera Gisèle dans la maison au beau jardin.
Les roses rouges de Saadi chantent en mon cœur,
« J'ai voulu, ce matin, te rapporter des roses;

Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes

Que les nœuds trop serrés n'ont pu les contenir. 


Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées

Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées."
Marceline Desbordes-Valmore…
Le rouge des fleurs, des robes de poupées et des tracteurs ; la pelure d'orange oubliée sur la pierre, au bord de la mer ; dans le vase, des tulipes : jaunes, rouges aussi, et blanches aux longs pétales. Dans ma poche, des coquillages, des galets et des algues.
Une maison de songes et d'écritures, de peintures et de sculptures ; une maison comme une halte, au gré du temps, au gré du vent, dans le sens des embruns, dans le cycle de la suspension qui tourne et joue sur le meuble du salon. Rouge, jaune. Tourne et danse, le manège des existences. Sur un fil, sur un pied, funambules.
Il faudrait partir vers les dunes aux plantes noueuses, se lover dans les rayons du soleil. Mais, il est difficile de quitter ce havre de tranquillité où l’on se pose en déposant ses fardeaux. C’est un lieu sensible comme une plaque photographique où l’on touche à la substance de son âme. On l’on rencontre celles des autres.
Un Neptune de galet nous contemple, impassible. La bouteille de vin et les verres jettent des clartés sur la table de bois. Le vieux bateau devenu cerf - volant invite à des voyages, à tourner les pages du carnet de voyage.
« Il y avait tant de lilas ce mois de juin
Que le scintillement du monde prenait une teinte bleutée »
Arséni Tarkovski
J’aimerais revenir ici au mois de juin quand la nature irradie d’un embrasement merveilleux, dans la chaleur de l’été naissant, en ce mois de Saint Jean aux buissons incandescents.

Véronique Guerrin

Audresselles, la mer.




Audresselles, l'église et ses pigeons, le cimetière




Audresselles, coucher de soleil






Audresselles, le minéral et le végétal





Audresselles, en avril