Extrait ' Histoire de Marie"
"Juillet 2030.
Ce
jour-là, j’étais assise dans le train, je partais en voyage. Une femme au
manteau rouge vint s’asseoir à côté de moi.
Parfois,
lors de mes trajets quotidiens, je croisais la jeune fille à l’écharpe verte,
parfois, la jeune femme au manteau rouge. Je me souvenais des histoires que cet
ami et moi avions imaginées à partir de ces photographies itinérantes. J’avais
envie de les relire. Je me disais que nous avions tous autour de nous des
femmes au manteau rouge ou à l’écharpe verte.
Et cela ne
m’étonna pas.
Les chaos,
les sursauts, le balancement du wagon, les allers et venus m’assoupirent.
Je rêvais à demi… La jeune femme au manteau rouge était assise près de moi.
Elle tenait un livre à la main dont le titre me rappelait vaguement quelque
chose de connu. « Histoire de Marie, dans la nuit des disparus. »
Sur la
page de couverture, un couple, un village montagnard. L’homme tient la femme
dans ses bras, la femme sourit. Photo de bonheur, plénitude.
Oui, je me
souviens, une aventure entre plusieurs « vagabonds des images et des
mots », un désir de vivre une autre histoire, un partage entre inconnus,
un blog.
Le parfum
de la dame au manteau rouge : « Escale à Portofino »
m’environnait, m’emportait, me plongeait dans les souvenirs si lointains de mes
voyages en Italie du Sud. Je ne savais plus si je dormais, si je rêvais, à
quelle époque je vivais ! Cette femme sortie d’une photographie existait-elle
vraiment ou n’était elle que le fruit de mon imagination ? Une trace au
creux du livre de ma mémoire. Une empreinte, un poème rouge.
J’ai
retrouvé l’un de ces textes écrit après avoir vu une photographie :
« Je
rêvais cette nuit de la dame au manteau rouge. Elle avançait sur un chemin
sombre et portait sur elle une tunique pourpre d'où perlaient des gouttes de
sang. À son cou brillait une petite licorne de cristal.
Je me levais avec une
impression étrange et mon corps était alangui par cet été brûlant.
Dans la
rue, je marchais lentement, encore étourdi par ce mystérieux Golgotha
entrevu...
Une petite fille sautait au palet dans une marelle tracée à la
craie rouge. Elle chantonnait "Coccinelle, demoiselle du Bon Dieu, réalise
mon voeu... "
Il faisait très chaud dans le compartiment du train. Comme
en l'année 1976. Lors de l'invasion des coccinelles échappées d'un élevage.
La dame au manteau rouge s'était endormie, ou plutôt assoupie. Son sac à main
serré contre elle, dans un geste un peu défensif, et le journal qu'elle lisait
était tombé à ses pieds.
Des nuées de bestioles rouges à points noirs
voltigeaient dans l'espace clos et je les regardais...
Une coccinelle se posa
sur le col du manteau, broche précieuse : rubis sur hématite taillée et
brillante dans un éclat de soleil reflété par le cadran de mon bracelet-montre.
La dame à la coccinelle comme la dame à la licorne... »
Il faudra
que je demande à cet ami disparu, il doit encore avoir les images de ces
femmes. C’est lui qui m’a donné le goût de photographier en partant au travail,
toujours sur le qui-vive, comme un chat aux aguets, l’air de rien, et
clic-clac, l’oiseau est sorti !
Il faudra
que je lui dise qu’elles étaient très belles ces femmes assises.
À un
moment donné du trajet, le livre tomba des mains de la femme qui s’était
endormie, et s’ouvrit en double page. Oh ! Surprise ! La photographie
était dans le livre.
Je le
ramassais et je lisais vite, cette page ouverte au hasard. Étrange, j’avais ce
livre à la maison et je n’avais pas vu cette page. Peut-être n’était elle pas
encore écrite ?
Je lisais
donc : « Elle
portait toujours le même manteau, je veux dire, de la même coupe, de la même
forme... Mais il changeait régulièrement de coloris... Il m'apparaissait alors
qu'elle aimait l'idée d'un vêtement- uniforme... Toujours le même et
toujours pourtant différent! Un habit de couleur unie mais de semblable
stature.
D'ailleurs j'avais remarqué également que le tissu était du
lin.
Cette matière noble se repère à son drapé, son élégance, sa tenue.
Le
lin, l'uniforme, la couleur unie.
Et ... »
« Le manteau
qu'elle portait le plus souvent était malgré tout celui qui était rouge. Je me
disais qu'elle était couturière, ou que quelqu'un dans sa famille l'était.
Tailleur ? Comme les membres des communautés opprimées qui avaient fui les
persécutions du siècle dernier... et qui cousaient des nuits entières à la
lueur médiocre d'une lampe à pétrole, d'une bougie et ensuite de l'ampoule
électrique.
D'abord à la main, à l'aiguille puis avec une petite machine à
coudre achetée à crédit... les plus méritants ouvraient un magasin, pouvaient
avoir un ou deux ouvriers...
la lutte contre la misère, la mesquinerie. »
« Ce jour-là, elle
était assise comme à son habitude, non loin de moi et enveloppée dans son
manteau rouge, comme dans un linceul. L’idée du linceul m’était venue par
association avec l’expression insoutenable que j’avais captée dans son regard.
Une lourde tristesse en sourdait. Une intolérable impression de dénuement, de
solitude. En descendant, elle fit tomber quelque chose. Je me penchais et je
ramassais un bout de papier, me sembla t-il. Mais il était plus lourd qu’un
papier et le retournant je vis que c’était une photographie. Cette image que je
vous livre « À la tricoteuse », et je décidais de nommer Antigone ma jeune
femme au manteau rouge. En hommage à cette affiche collée sur la porte du
magasin. »
"
Suzanne Guerrin
"à la tricoteuse", rue nationale Lille-