lundi 11 juin 2012

Antigone


Extrait ' Histoire de Marie"

"Juillet 2030.
Ce jour-là, j’étais assise dans le train, je partais en voyage. Une femme au manteau rouge vint s’asseoir à côté de moi.
Parfois, lors de mes trajets quotidiens, je croisais la jeune fille à l’écharpe verte, parfois, la jeune femme au manteau rouge. Je me souvenais des histoires que cet ami et moi avions imaginées à partir de ces photographies itinérantes. J’avais envie de les relire. Je me disais que nous avions tous autour de nous des femmes au manteau rouge ou à l’écharpe verte.
Et cela ne m’étonna pas.
Les chaos, les sursauts, le balancement du wagon, les allers et venus  m’assoupirent. Je rêvais à demi… La jeune femme au manteau rouge était assise près de moi. Elle tenait un livre à la main dont le titre me rappelait vaguement quelque chose de connu. « Histoire de Marie, dans la nuit des disparus. »
Sur la page de couverture, un couple, un village montagnard. L’homme tient la femme dans ses bras, la femme sourit. Photo de bonheur, plénitude.
Oui, je me souviens, une aventure entre plusieurs « vagabonds des images et des mots », un désir de vivre une autre histoire, un partage entre inconnus, un blog.
Le parfum de la dame au manteau rouge : « Escale à Portofino » m’environnait, m’emportait, me plongeait dans les souvenirs si lointains de mes voyages en Italie du Sud. Je ne savais plus si je dormais, si je rêvais, à quelle époque je vivais ! Cette femme sortie d’une photographie existait-elle vraiment ou n’était elle que le fruit de mon imagination ? Une trace au creux du livre de ma mémoire. Une empreinte, un poème rouge.
J’ai retrouvé l’un de ces textes écrit après avoir vu une photographie : « Je rêvais cette nuit de la dame au manteau rouge. Elle avançait sur un chemin sombre et portait sur elle une tunique pourpre d'où perlaient des gouttes de sang. À son cou brillait une petite licorne de cristal.

 Je me levais avec une impression étrange et mon corps était alangui par cet été brûlant.

 Dans la rue, je marchais lentement, encore étourdi par ce mystérieux Golgotha entrevu...

 Une petite fille sautait au palet dans une marelle tracée à la craie rouge. Elle chantonnait "Coccinelle, demoiselle du Bon Dieu, réalise mon voeu... "

 Il faisait très chaud dans le compartiment du train. Comme en l'année 1976. Lors de l'invasion des coccinelles échappées d'un élevage. 

La dame au manteau rouge s'était endormie, ou plutôt assoupie. Son sac à main serré contre elle, dans un geste un peu défensif, et le journal qu'elle lisait était tombé à ses pieds. 
Des nuées de bestioles rouges à points noirs voltigeaient dans l'espace clos et je les regardais...

 Une coccinelle se posa sur le col du manteau, broche précieuse : rubis sur hématite taillée et brillante dans un éclat de soleil reflété par le cadran de mon bracelet-montre. 

La dame à la coccinelle comme la dame à la licorne... »
Il faudra que je demande à cet ami disparu, il doit encore avoir les images de ces femmes. C’est lui qui m’a donné le goût de photographier en partant au travail, toujours sur le qui-vive, comme un chat aux aguets, l’air de rien, et clic-clac, l’oiseau est sorti !
Il faudra que je lui dise qu’elles étaient très belles ces femmes assises.
À un moment donné du trajet, le livre tomba des mains de la femme qui s’était endormie, et s’ouvrit en double page. Oh ! Surprise ! La photographie était dans le livre.
Je le ramassais et je lisais vite, cette page ouverte au hasard. Étrange, j’avais ce livre à la maison et je n’avais pas vu cette page. Peut-être n’était elle pas encore écrite ?
Je lisais donc : « Elle portait toujours le même manteau, je veux dire, de la même coupe, de la même forme... Mais il changeait régulièrement de coloris... Il m'apparaissait alors qu'elle aimait l'idée d'un vêtement- uniforme... Toujours le même et toujours pourtant différent! Un habit de couleur unie mais de semblable stature. 
D'ailleurs j'avais remarqué également que le tissu était du lin.
Cette matière noble se repère à son drapé, son élégance, sa tenue. 
Le lin, l'uniforme, la couleur unie. 
Et ... »
« Le manteau qu'elle portait le plus souvent était malgré tout celui qui était rouge. Je me disais qu'elle était couturière, ou que quelqu'un dans sa famille l'était. Tailleur ? Comme les membres des communautés opprimées qui avaient fui les persécutions du siècle dernier... et qui cousaient des nuits entières à la lueur médiocre d'une lampe à pétrole, d'une bougie et ensuite de l'ampoule électrique. 
D'abord à la main, à l'aiguille puis avec une petite machine à coudre achetée à crédit... les plus méritants ouvraient un magasin, pouvaient avoir un ou deux ouvriers...
la lutte contre la misère, la mesquinerie. »
« Ce jour-là, elle était assise comme à son habitude, non loin de moi et enveloppée dans son manteau rouge, comme dans un linceul. L’idée du linceul m’était venue par association avec l’expression insoutenable que j’avais captée dans son regard. Une lourde tristesse en sourdait. Une intolérable impression de dénuement, de solitude. En descendant, elle fit tomber quelque chose. Je me penchais et je ramassais un bout de papier, me sembla t-il. Mais il était plus lourd qu’un papier et le retournant je vis que c’était une photographie. Cette image que je vous livre « À la tricoteuse », et je décidais de nommer Antigone ma jeune femme au manteau rouge. En hommage à cette affiche collée sur la porte du magasin. »
"
  Suzanne Guerrin "à la tricoteuse", rue nationale Lille- 

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