vendredi 15 juillet 2011

le Shu au CHU...

Certaines rencontres restent énigmatiques. Pourquoi se sentir tellement à l'aise avec certaines personnes comme s'il était possible de les connaître depuis toujours ou depuis si longtemps ! Nous nous disions cela avec des amis proches, il n'y a pas si longtemps d'ailleurs.
Le contact d'âme à âme enveloppe de mystère certains passages de la vie et donne clarté à ce qui devenait habituel ou terne. Comme la corolle d'une fleur qui s'ouvre sous les rayons du soleil ou la petite herbe timide qui jaillit d'une fissure dans le béton.
Nuit. Hôpital. Le blanc dans le noir. Accueil d'un malade. Brancard, chambre nue. Inventaire. Vêtements sombres, cape noire. Chaussures noires. Soutane noire. C'est un prêtre, c'est assez rare d'accueillir un père, un moine ou un abbé : à croire qu'ils ne sont pas souvent malades ou qu'ils sont peu nombreux... Il est beau, rayonnant, empli de charisme et confiant et il nous arrive de réanimation. Je me dis à ce moment là qu'il ne sait pas encore ce qui l'attend... Mais il vient pour être soigné et guéri, délivré de ce mal qui le ronge. Comme tous nos patients... cette nuit un malade me disait " parfois les patients ne sont plus patients, il faut comprendre, c'est si difficile d'être ainsi allongé, comme en attente, comme mort au monde, absent de la vraie vie et l'espoir parfois s'amenuise. "
Il a eu de la chance, c'est vrai, mais pour lui, on pourrait plutôt dire " la providence veillait" ; il faudra du temps à son corps pour reprendre force mais il a échappé au pire. Longues semaines d'attente: repos, examens, diagnostics, évaluations, désévaluations, crispations, luttes, abandons, recherches et bilans. Entre le corps du patient et le corps médical un ballet se joue, une danse presque lugubre et monotone avec des sursauts de légèreté et d'effervescence.
Jusqu'à la sortie qui donnera suite à la rééducation, évidemment ! L'hôpital ressemble alors à l'antichambre de la mort et c'est une lutte incessante que livrent les médecins.
Des semaines longues comme des nuits d"hiver, des heures infinies de morosité entrecoupées de soins, de visites d'amis, de vide, d'absences, de dialogues avec des proches, heureusement ; la communion apportée par un confrère devient viatique ! "Il y a toujours au bout de la nuit une petite lumière qui brille..."
Des journées qui se déroulent comme le fil des Parques, comme le fil d'Ariane en un temps hors du temps ; en un labyrinthe d'éternité ; des instants de portes qui claquent, de repas froids, tièdes ou sans attrait, d'incompréhension. Le personnel s'interpelle dans le couloir, les soignants vous "soignent" et parlent au-dessus de vous comme si vous n'existiez pas. Les sonnettes qui ne s'arrêtent pas de sonner dans les chambres, les téléphones, les talons qui pointent, les pas, les pas, les pas qui n'en finissent pas.
Réveillé toutes les 2 heures la nuit : dextro oblige.... Et surtout le bilan de 5 heures avant l'éventuelle hémodialyse.
Le patient devient le témoin du vide spirituel hospitalier, du désespoir parfois de certains soignés ou de certains soignants ; le témoin de la misère humaine, des conflits et des querelles ; des peurs et des non-dits.
Il devient également le témoin de cette traversée des ténèbres obligatoire jusqu'à aboutir enfin à la lumière d'un nouveau matin : celle de la sortie de l'hôpital. Ce jour devient pour le patient celui du premier matin de la Pâque : c'est une résurrection, une nouvelle vie qui commence.
Aller jusqu'aux portes de la mort et en revenir fait de chaque patient un Lazare, un témoin de ce vide et de cette obscurité qui happent le malade lorsqu'il se retrouve seul, allongé sur son lit blanc, blanc de cette glaciale odeur de l'hiver, blanc de ces fleurs inodores ; et ces murs si blancs, si fades qu'ils ne ne recèlent plus ni chaleur ni clarté. Mais  les patients se sentent parfois agressés par trop d'odeurs ou de couleurs !  l'infirmière trop parfumée, l'aide-soignante trop maquillée,  les effluves de tabac,   l'arôme du café chaud ; le patient est à jeûn pour la prise de sang  du matin... 
 Le soignant remonte du froid, du hall d'entrée, est allé fumer sa cigarette,  se "pose" alors la pause devient conflictuelle si la sonnette se met à "sonner ! C'est l'heure où l'on "s'écroule" quatre heures du matin, l'organisme s'appesantit. Celui ci joue à l'ordinateur attendant le dernier tour, celui là révise ou étudie, on s'occupe, lecture, discussions, et s'amuser parfois, tellement de rires, de blagues besoin de soupapes.
Parfois un sourire, un geste, un oiseau qui chante au -dehors et qui arrive à percer les murs d'opacité ; une petite lumière vive qui perce la neige de ce château de la reine au manteau de vide. Parfois un dialogue s'instaure qui va au profond du coeur et qui génère une belle joie, le partage entre deux êtres humains. Parfois la main serrée, la main tendue qui donne du courage, le mot qui permet de tenir encore et encore pour se sortir de là, de ce bourbier où l'on s'enlise, de ce désespoir qui s'agrippe à l'âme et la laisse épuisée.La gentille et douce infirmière qui vient relever ses constantes avec calme,
Parfois, l'envie de jeter des pierres dans la télévision qui crie jour et nuit. Parfois le désir de s'enfuir, en chemise d'hôpital, blanche bien sûr. Et ne plus supporter cette couleur... Le blanc, si blanc que l'on ne voit plus rien au travers, le blanc comme un trou sans fond, le blanc comme un fantôme qui nous enserre...
Et pourtant, rire ou parler, être vrai, humain et pourtant, c'est si bon d'être hospitalisé lorsque seul l'hôpital peut trouver la solution ! Et pourtant, c'est si bon quand l'homme retrouve la confiance et l'espérance.
Certains rencontres restent énigmatiques, je me souviens d'un poème, de certains patients étrangers avec lesquels nous parlions par gestes, de titres de livres échangés, de chansons ou de prières dans la chambre sans fleurs ni bonbons mais emplie de bonheurs. Je me souviens de certaines morts aussi qui laissent le coeur en friche, quelle tristesse ! Je me souviens des regards, on dit que les yeux sont le reflet de l'âme. Oui, les regards demeurent longtemps après...