vendredi 24 août 2012

Tatiane Roy, Vézelay


"Tu ne connais de la mort
que l’hésitation
C’est à l’effacement qu’elle t’appelle
Pour donner forme
A l’insondable présence





Celui qui marche
Dans le silence
Traverse le souvenir de son ombre


Vers les rives du fleuve jaune
m’emporte le rêve du jour

Tout se tait
les feuilles, les vents
et les oiseaux aux plumes d’or

Et moi aussi,
je suis sans parole 

jeudi 23 août 2012

Tatiana Roy, la dame du haut de Vézelay


«  L’ombre n’existait plus ni mon ombre à moi
absente et présente à la fois
est ce là une âme explorant le seuil de l’au-delà
et traversant à gué sept fois le Styx
qui mène à l’après vie ? »

 Tatiana Roy

« Ne restera qu’un peu de vent »
 Poèmes
 Éditions l’or des étoiles à Vézelay



Les 2 roses rouges. Damis G.


Non loin de la Cordelle :  petite chapelle des Franciscains, sur le chemin qui conduit à Asquins,   un vieil homme raconte la légende de la grotte des sept dormants d’Ephèse. Il se tait un moment puis ajoute : « c’est là que reposait le corps de Marie de Magdala et les dormants veillaient sur elle ».
Qui veillera sur Tatiana dans le cimetière de Vézelay ? Il ne faudra pas oublier de porter deux roses maintenant car Jules Roy n’y est plus seul.
Cherchez la belle d’en haut, sur la colline, entre les murailles et les jardins suspendus. Dans la basilique, les reliques de Marie Madeleine sont enchâssées dans l’or. Sur un banc, j’ai trouvé un vieux réveil, il était 15 heures trente. La dame du haut, mélodieuse, s’en est allée vers les Hespérides où elle  dansera, où elle écrira des poèmes.
Les feuilles ne tombent pas encore ; après-demain sera le 15 août, nuit des étoiles filantes. Tatiana traversera les empires inconnus pour rejoindre les terres où vont l’accueillir ceux qu’elle aimait et qui l’ont précédée, là où « il n’y a plus ni peine, ni tristesse, ni gémissement, mais la vie éternelle».
Elle est seule pour l’instant, au profond du cercueil, dans la basilique où  les chants orthodoxes s’élèvent. Des touristes déambulent le long des travées, parfois leurs regards semblent interrogatifs. J’imagine des anges poètes et je vois des lettres, des mots en procession sur la rive du grand départ.
Une roue de joie, les poèmes s’éveillent, les écrivains qui vécurent ici sont venus accompagner celle qui sera ensevelie tout à l’heure en plein soleil. Les lueurs des bougies tanguent. Des petits bouts de lumière arrachée à la nuit, à l’obscurité, à la désolation.

Des femmes se courbent vers le berceau où dort une fillette. Elles se taisent. Elles ont oublié leurs noms et leurs misères, les mortes idoles. Elles ont oublié le nom de la ville, le nom  des soldats blessés. La nuit était moite, les corps ensevelis sous les gravats remuaient de temps à autre. Des fumées épaisses palpitaient dans le sang de l’enfant. S’extraire à la souffrance de l’âme, oublier.
C’est une chambre de célébration où implorent les images figées dans leurs cadres dorés. C’est une chambre où il n’est plus possible de sortir de son songe, et l’on tourne en rond, dans un village où  les maisons penchent leurs murs inexorablement vers le cimetière, le vieux cimetière isolé aux tombes ravagées par les années.
Parfois, Tatiana se cache dans la pièce aux livres, elle se love au milieu des feuillets épars et elle lit, les histoires des enfants et les contes qui s’épuisent à l’infini. Les « Russes blancs » depuis longtemps ont rejoint les plaines ancestrales où voguent de fiers navires sur les eaux lourdes du sang impérial. Nostalgie de ces heures tragiques où le peuple slave versait ainsi vers les puits de la haine les richesses de sa culture et de son passé. Pourtant, il fallait lutter contre l’oppression, la peur ; la colère se déversait ainsi, longue plainte qui n’en finissait pas de s’éteindre et d’étreindre, se déplaçant  d’isba en datcha, et de datcha en château jusqu’aux lointaines frontières. Les nobles fuyaient, emportant dans leurs bagages des objets précieux, des reliques, des images saintes. Un saint moine l’avait prédit « il y aura tant de larmes et de sang que la terre ne pourra les contenir ».
Des convois sont passés cette nuit sur la route poudrée d’éclats d’obus où l’arbre brisé étend sa  chevelure de tourmente. Dans les charrettes, épars, quelques effets et des vivres. Vers quelle autre vie ? Vers quel ailleurs fuir ainsi ? Je sais là-bas la vieille femme qui pleure, je me penche vers elle. Femme des terres incendiées. Offrir ses larmes à la bise écarlate. Un homme, meurtri par l’indifférence, attend au bout de la route.
Tatiana porte en elle cette histoire et cette mémoire ; les chants et les couleurs sauvages ; les rires des fêtes sous les tilleuls en fleurs et les larmes des icônes recueillies dans des fioles scintillantes. Elle a toujours gardé ce sourire pétillant de jeunesse qui flotte dans son regard ; c’est ainsi que j’aime à me souvenir d’elle, le poète qui parle doucement et qui scande ses phrases de quelques gestes gracieux.
Elle garde au profond de son cœur la beauté, l’élégance des femmes entières et énergiques, à la plume qui court sur le papier. Elle vit entre livres, recueils et jardins.
Elle n’était pas exilée, ni réfugiée  parmi nous. Comme l’oiseau se pose sur le béton ou sur la pierre pour picorer quelques graines ; comme l’hirondelle farouche décrivant des courbes dans les nues ; comme la fleur aux pétales entrouverts, elle t’offrait quelques pépites inestimables, des mots qui deviennent des fraises, rouges et douces. Les fraises de mon pays sont si savoureuses, ici, elles ont beaucoup moins de goût. Elle était russe jusque dans la fibre invisible de son  origine, en cette « préhistoire de son histoire natale. »
Elle était infinité de méditations suspendues aux lèvres d’insolites conversations. Elle déployait des palettes éclatantes. « Ici repose » écrivait elle…
Elle patientait dans l’enclos des herbes envahissantes, marchait dans le vieux cimetière au gribouillis de croix cassées. Elle ramassait une pomme rouge dans le verger, riait en voyant s’enfuir le lapin blanc, tendait la main vers les pierres éclatées du rempart et caressait de ses longs doigts l’écorce noueuse des arbres.
À l’ombre de Marie Madeleine ses jours se terminèrent. Je pense souvent qu’elle disait « qu’il est triste de vieillir, de perdre sa beauté et sa transparence pour se parer de rides, d’amères empreintes. »

C’est un vieux cimetière dans la solitude des jours passés qui l’accueille, aujourd’hui,   auprès de Jules Roy ;  la tombe d’à côté est celle du couple Zervos. Un peu plus haut, Max Pol Fouchet…
Cherchez la belle endormie dans le jardin des morts. Elle est partie vers le miroir des jours anciens où l’âne Ulysse se tient sur la colline.
Je marche, suivant le cortège qui descend sur le chemin, je pense au linceul sur le corps menu, à un voile de noces et de nuages. C’était, en cette chaude nuit, l’ultime lune de la terre qui  palpitait devant sa fenêtre. Des parfums d’Asie, d’excursions. La mélopée du cygne. Tatiana était danseuse de ballet.
Sur la tombe, Des bouquets de fleurs: témoignage ; lys si blancs et roses odorantes.
Hier, c’était la neige, demain une autre rosée. Les chemins s’entrecroisent. La terre bientôt gèlera, mais tu ne seras plus là ; tu valseras, déployée dans le flot du vent. Non, ton corps n’est pas promis à l’oubli mais à une éternité d’aurore…
La dame d’en haut chevauche le cheval de la mort.
« Ah ! Si elle avait pu mourir ainsi sans masque de la mort, telle une rose dernière qui fane doucement dans son vase ! …
«  Chacun va vers la mort par ses propres voies. » écrivait Tatiana dans « l’âne sur la colline. »
Telle cette rose qui fane lentement, elle a vécu sur la colline, bien après que son époux soit mort ;  il lui avait offert un poème pour leurs noces dont voici un extrait :
« Salut, rose déchirée de mon coeur,
toi que j'ai réclamée à genoux dans les basiliques,
pour qui j'ai fait brûler des cierges et que j'ai cru
rencontrer sur les chemins de terre où je sifflais mon chien
Tu es celle qui comprend sans même besoin de parler
Et au-delà de ce que je dis quand je parle
Tu es celle que j'appelais du fond des âges de la voix des bêtes
blessées
Qui refusent la mort, l'âme de mon âme immortelle,
La nuit d'étoiles et la nuit de neige.
…. » 

La Lorelei de Vézelay est entrée dans l’indescriptible mémoire du monde, au sein de ce magnifique silence de l’après toute chose ; en ce mystère qui fait tressaillir.
Elle est entrée dans le chant parfumé de la belle Ophélie ; ses pas sont légers sur l’onde du Styx. Les fruits ailés de l’orme du sommeil l’accompagnent sur le chemin. C’est une Madeleine, une dame à la licorne, une princesse devenue invisible à nos yeux.
Elle demeure dans le rêve comme l’enfant au cœur de la nuit ; la porte s’ouvrira, au rayon tapant de la lune de minuit. Pour grincer, tourner sur ses gonds, dévoilant l’espace tendu de vide où l’on ne peut s’avancer tant que l’on est vivant.
Elle ira seule, choisissant cette image d’elle-même qu’elle aimait tant… Attentive, noble. Regard étonné, joyeux. Un corps en amorce de vagabondages, buissonnier ; Un sentiment de repos et de plénitude.
C’est ainsi que j’aimerai  me souvenir d’elle, la dame de la colline, blonde et gracieuse entre les chèvrefeuilles et les hirondelles de la fête de la dormition  quand son âme s’est offerte à ce moment où il «  Ne restera qu’un peu de vent ».




J'ai beaucoup apprécié l'hommage ému rendu par Lorant Hecquet à la dame au phoénix, la dame du haut ; l'oiseau de feu brûle au firmament du silence. et s'envole vers l'éternité.
la petite fille de Tatiana a parlé de sa grand mère avec des mots simples et doux, des souvenirs merveilleux qu'elle gardera toujours en mémoire avec sa famille, le témoignage d'une transmission de l'amour de la Russie, de la beauté, de la musique et de la danse.
Madame Lacarrière a lu les poèmes du dernier recueil de Tatiana. Les phrases suspendaient le temps, nouant les coeurs à l'âme, s'accrochaient aux branches des arbres et se déposaient dans le berceau des fleurs.

 L’office orthodoxe a été célébré par Père Stephen Headley accueilli par les moines et moniales de la Fraternité de Jérusalem dans la basilique de Vézelay. et assisté du père Nicolaï Tikonchuk. 
Tatiana Roy était l'une des fondatrices de la paroisse orthodoxe de Vézelay.

Véronique Guerrin




Marikana Tragédie