jeudi 6 février 2020

"L'autre moitié du songe m'appartient" Alicia Gallienne Gallimard Février 2020




6/2/2020

Au courrier de ce matin,  le recueil de poèmes d’Alicia Gallienne 
«  l’autre moitié du songe m’appartient. » Gallimard.

Voilà déjà 20 ans maintenant que j’avais reçu comme un cadeau le relevé du quatrain gravé sur sa tombe, au cimetière Montparnasse,  espérant qu’un jour enfin un livre paraisse qui rassemblerait les textes de cette jeune fille morte à l'âge de 20 ans. A l'époque je me promenais dans les cimetières et recopiais dans un carnet les textes que je pouvais lire sur les sépultures. Depuis si longtemps, j'ai perdu ce carnet de notes.

"Comme une ondée aromatisée de menthe désirante
mon âme saura sublimer et se défendre
Comme une pâmoison de fraîcheur délirante
Mon âme saura s'évader et se rendre."

extrait "des dominantes"

Alicia Gallienne 20/01/1979-24/12/1990

J’ai lu et relu avec émotion le très beau texte de préface écrit par Sophie Nauleau qui nous conte avec retenue, pudeur, sincérité et extrême sensibilité la vie de cette « étoile » à l’âme secrète, comme elle le souligne : « la nouvelle Eurydice ».

C’est un merveilleux voyage riche d’images, de voyages, de lieux inconnus et d’entrelacements poétiques qu’elle nous propose avant que ne commence le recueil des poèmes qu'elle a choisi de publier.



"...

Le temps qui bat monnaie

A créé l'or du soleil

mais moi je veux un sommeil immobile

Aux branchages verts
Aux fruits d'argent

Épargne-moi l'odeur du temps
Je crains de ne pas courir assez vite pour revenir au passé
Je crains de mourir aux pieds du soleil
Comme une ombre qui se serait enfin retrouvée."

Le 10 janvier 1988 
Alicia Gallienne






Pour Alicia G., mémoire éternelle

Pour  Alicia, mémoire éternelle

ce 6 février 2020 / 1 heure du matin 

Ce fut juste un passage presqu’éperdu
quelques lignes gravées sur un marbre
une ample verdure, chevelure d'haleine fraiche, fleurie
dans ce jardin de Montparnasse

 L’île des mélancolies
déploie ses rivages ensommeillés
le vent aspire l’extrême des mondes engloutis
La douleur est un bois flotté

Aucune lumière de crépuscule ne peut rendre la  présence
à contre-vie dans le cœur de l’aube
apparaissent les fleurs du matin
l' étoile qui veille  s'éloigne et revient  

Seule, la vague qui n’est pas bleue mais de fond de ciel
ouvre l’ œil aveugle au centre de notre front
nous étions des cyclopes
« un ange passe » dira la fillette jouant avec l’écume grise
tout  le blanc s’est envolé
jusqu’à peindre les nuages

l’oiseau bleu est mort
au cœur du verger s’enfouissent d’incertaines ombres
leurs contours sont de rires, d’ailes
et de songes
le thym et la sauge ont gelé cette nuit
quelques gouttes d’eau brillent au soleil
au long du jour réinventer la magie des fées
la mer qui s’étire, loin, là-bas,
s’allonge alors que les dunes palpitent de tant de givre

Je marchais hier sur un parterre de braises
désirant l’aurore

Les bougies dont les flammes respiraient pour moi,
à la fenêtre, se sont constellées
Il n’y a plus de lueur dans la maison
le chemin se trouve au fond de la nuit
le corps a quitté la tombe fraîche depuis si longtemps
Il n’y a de clarté que dans la joie des noctambules

Je marchais hier sur des nuances d'eaux
désirant l’aurore et cet au-delà qui s'échappe

Les arbres jettent des formes sur les murs des jardins
où sont les libellules bleues, le sable, les fruits de mer dorés
et la vague élancée
ce qui est léger disparait avec les nuages

Dans la chambre enluminée tu te penchais Demain,
pour cueillir ta propre transparence
recueillir un peu d’air et trop de sang qui s’enfuit, qui s’écoulera,
la lavande encor ‘odorante,

Il n’y a aucun mauvais sort,
juste des regards qui s’éteignent
en un abîme humide, tombe secrète

les plantes ruissellent d’éblouissements, la terre resplendira,
c’est un matin ensoleillé, il n’y a rien à comprendre,
rien à entendre,
des chevaliers porteurs d’épées argentées
glissent à travers l’hiver On penserait qu’ils voguent
à la surface de la terre frigorifiée

Lorsque viendra la neige
la mort somptueusement délivrera l’agonisante
les fruits funèbres seront sur la table déposés
je ne savais pas le regret de l’astre de Noël

Je marchais hier sur un parterre de braises
désirant l’aurore

L’invisible étend son mouvement, un peu plus fluide
que le bruissement du silence
l’ivresse d’une impatience
Il faudra suivre les oiseaux de passage
Déposer l’offrande Ophélienne
là où combattent les roseaux

La neige scintillera, demain, hier aussi,
je sèmerai des grains de givre
pour traverser le miroir aux ombres flageolantes
C’est Alice qu’il faut retrouver
A la fin des oiseaux, la nuit s’achève
avant le Passeur, viendront les jours immobiles

Des murs de cendres, des murs, lointaines irréalités
encerclent les arbres, brouillard très frais,
les cygnes noirs glissent sur l’eau glacée
quelques pommes jaunes tombées sur l’herbe recroquevillée

Une source de poussière, dentelle grise et ouvragée,
« Dies irae », ce qui était suspendu s’élève

Premiers pas d’enfant dans l’hiver
les empreintes s’effaceront, demain, hier aussi,
il y eut d’autres empreintes

Pour traverser le miroir aux ombres flageolantes
c’est Alice qu’il faut retrouver
« Dies Irae » écrivait Mozart sur son lit de mort
dans la fièvre d’une dernière lacrimosa

Je me souviens d’un temps où j’avais le temps
où tu avais le temps de rire et de danser
mais hier s’est épuisé

Alors, c’est ici que nous déposerons les valises si lourdes
en ce grenier poussiéreux
où nous ne reviendrons plus jamais
les poupées aux yeux clos
les meubles vides, les livres abandonnés

Des flammes et des fumées,
le feu est rouge, je marche encore sur la terre brûlée 
et je recherche
ce quelque chose d’inattendu,
couleur de cieux immortels

Bientôt les cendres s’envoleront
s'en iront bien loin, il n’y aura plus de fumées, ni de feu
je partirai vers un autre lieu
là où le vent devient le porteur du temps,
d’un moment de vie plus léger
C’est Aurélia qui danse entre les arbres, le Passeur
lance des coquillages au reflux des vagues,
la mer lointaine
Oser poser la limite

Pour traverser l’image aux alouettes
c’est l’enfant qu’il faut chercher et retrouver
l’enfant si tranquille dans le jardin clos et calme
aux parfums de jasmin blanc et de marjolaine

Et se poser, se déposer
sur la tombe d’hier, quelques pages d’un livre
et rire enfin de chaque simulacre strident
crier comme la mouette au dessus des flots

Fille du sable sous le soleil, se nourrir d’un rayon de miel
le sablier brisé laisse filer ses grains argentés
quelques gouttes de sang sur les pieds de la jeune fille
debout au milieu des verres éclatés

La neige scintillera, demain, hier aussi,
je sèmerai des grains de givre
et de lumière était la lune
les feuilles mourantes au pied du tilleul
que s’ouvre la grille du jardin oublié,
il est un lieu si bleu
où chaque soir n’est que quiétude, repos,
à  tout jamais s’y réfugier T'y rejoindre

Et de soleil étaient les branches des arbres
en cet hiver qui se joue de pluie et de vent
alors ainsi, la voix de la fillette chantera encore

Et de clartés d’étoiles, de ces planètes mortes depuis longtemps
les fleurs aux pétales tombés au pied du lit qui tremble
autrefois il y avait des mots que personne n’entendait
de ces voix qui parlent, ne savent jamais se taire
les voix qui se promènent dans la tête
elles racontent tant d’histoires d'ondes et de vagues

Et de silence intense  étaient les espérances
les mots se mêlent aux bruits de la rue
ll n’y aura pas de réponses aux questions posées
Alice et les autres filles, ses sœurs retrouvées
traversent les étendues inconnues
Au galop sur des chevaux bleus

Et d’enchantement seront la longue plage,
la petite maison aux volets ouverts
c’est toujours le temps du passage, d’une attente
les mouettes cherchent le sens de la liberté
moi aussi je cherche le sens du vent

Et de sable scintillant seront les heures des jours à venir
l’ombre dans le creux de nos mains reprend sa place
l’horizon est truffé  de mirages et de fruits de mer dorés
sur la plage au sable brillant où tout instant s'amenuise
et puis, ne revient jamais plus
les fillettes fugitives raniment les rêves disparus

Et d’écailles irisées-comme des poissons - étaient  les mouvements des mots
le rivage est courbe dans le miroir inversé
qui parle ainsi du lointain de mon âme ?
Du lointain de ton âme courageuse

Et de lune sera le toit de la nouvelle demeure
sous le voile de la nuit

Les yeux des endormis
Se sont ouverts dans le miroir des séparations
Dire patiemment à la terre le courage de tous ces enfants éblouis

Quand l’étrangère glisse encore
Sur les eaux de lumières et d’étoiles

Les mouettes disparaissent au loin
Jardin de février au timide soleil
Quelqu’un marchait dans le brouillard cette nuit