dimanche 17 octobre 2010

Asklépia



L’an 2057- CHRU Lillenville-

La nuit tombe. Le crissement des roues des chariots chargés de draps est strident dans la cour du vieil hôpital. Une odeur de soupe se mélange à celle de l’antiseptique. Des pas feutrés, une porte qui claque, le son pointu d’une télévision.

Je dors d’un sommeil entrecoupé qui me rend indifférent à moi-même. Le professeur du service et ses internes sont passés ce matin dans ma chambre anonyme. Moi aussi, je suis un anonyme. Ce qui est désigné, c’est le nom que porte ma maladie !

On entre, on soulève le drap, on m’observe et j’ai froid ! C’est la fraîcheur des regards qui me glacent plutôt ! Car l’ambiance est surchauffée. Un brouhaha de mots, un jargon incompréhensible et les voilà repartis ! le drap reste ainsi, au bout du lit, mon corps figé, la porte entrouverte.

Je n’ai rien compris. Personne ne m’a adressé la parole. J’essaie de dormir, de guérir, je veux partir.

Ces murs gris qui m’environnent, ces barres de fer, ces grésillements, ces grincements, ces tuyaux dans mon nez, dans ma gorge, qui me font mal. Je tombe au plus profond d’un rêve.

Je vois un jardin. Je cours vers mon chien qui frétille de la queue et qui aboie.Oua ! Oua ! Non, ce n’est pas lui, c’est un robot soignant qui me demande si je dors bien ! Qui me retourne, me soulève, m’asperge d’eau de Cologne, au parfum trop fade , si glaciale quand elle me coule dans le dos et dont la main énergique frotte ma peau quelques secondes puis tout disparaît : le couloir illuminé, le couinement du chariot, les voix…

Il ne reste qu’une lueur diaprée qui joue dans l’interstice de la fenêtre. Lentement, la brume enneigée de la chambre d’hôpital s’estompe. Une dame me conduit à l’intérieur d’un vaisseau d’argent aux commandes extraordinaires et je traverse l’univers. Je vais vers une cité inconnue située plus haut que les galaxies.

Je suis pris dans un tourbillon de pluies célestes. Le vaisseau se disloque, je chute pour atterrir dans une eau plus sombre que le cratère d’un volcan éteint. Je crois que je suis mort.

J’entends venir du lointain une mélodie si douce et je constate que je suis dans un jardin plus grand que celui de ma maison, au cœur d’une cité élégante. C’est ainsi que j’arrive sur la planète Asklépia. C’est une étoile étonnante éclairée de lueurs vertes qui tournent en cercle autour d’elle. Elle se déplace en vrille dans l’espace. Ce mouvement engendre une musique semblable à un chant de source.

Stupéfaction ! je ne ressens plus aucune douleur. Je me sens si bien. Un homme, coiffé d’un chapeau pointu, revêtu d’une longue robe blanche ceinturée de vert m’a tapé trois fois sur la tête avec un bâton en or. Des serpents aux couleurs d’arc-en-ciel en sont sortis, ont tourné trois fois autour de moi.

C’est alors que j’ai vu jaillir de mon corps un monstre hideux au visage déformé par la colère, une espèce de génie malfaisant, la représentation de ma maladie. Ce cancer qui m’est étranger, qui est entré en moi sans que je m’en rende compte.

Ce crabe taciturne, rusé qui s’est joué de ma vie. Je le vois, il vocifère, il gesticule.

Trois êtres étranges en robe dorée l’enferment dans une fiole transparente. L’un d’eux dépose le flacon sur une étagère au fond de la pièce éclairée de lueurs oranges et verdoyantes.

Je découvre que je me trouve dans un espace-temps différent. Les deux aiguilles et les chiffres de la montre que je porte à mon poignet ont disparu. C’est le laboratoire de Télesphore, une grotte dont la porte taillée dans le roc est une mandorle. De petites étoiles s’y agitent, des lueurs singulières dansent sur les parois de pierre. Elle est ouverte vers le haut, comme un observatoire. Je vois une lune pleine. Elle déverse vers le centre du laboratoire un cône de lumière. Je dois me placer en son centre. C’est alors que je deviens plus léger, plus transparent, qu’une force entre en moi.

Je retrouve Panacée, la dame du vaisseau fantastique. Elle tient entre ses mains un globe en or qu’elle sépare en deux parties. S’en échappent des virus, des microbes, des bactéries. Une pyramide constituée de flammes s’élève autour d’elle, devient une colonne de feu qui tourne en spirale. À son sommet, un serpent émeraude s’enroule autour d’une croix.Une lionne gigantesque apparaît. Elle s’avance vers moi en faisant jaillir de sa gueule ouverte des myriades d'éclairs enflammés. Je tombe, je tombe.

Je suis allongé sur une herbe chaude, entouré d’arbres fruitiers miniatures qui portent de minuscules lunes d’argent.

Il est évident que cette cité existe depuis longtemps, que le futur appartient au passé, que depuis des temps lointains la mémoire de l’humanité contient le secret de la vie et de la mort.

Celui qui a visité un jour cette planète aux reflets d’herbe ne pourra l’oublier. Il suffit d’avoir été hospitalisé un moment pour avoir eu en contact avec cet autre monde. Un regard dans un miroir, une horloge qui s’accélère, une sonnette qui tinte toute seule. Non, ce ne sont pas les fantômes qui habitent les couloirs de l’hôpital, ce ne sont pas les morts qui hantent l’espace hospitalier mais les hommes et les femmes d’Asklépia .

L’aube se lève. Télesphore m’offre un fruit d’argent en forme de lune. Je le salue. Panacée m’aide à monter dans un vaisseau transparent. Nous descendons en vol piqué vers la terre, atterrissons sur le toit de l’hôpital où se cache ma chambre.

Je tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre le long d’un tunnel lisse comme un miroir, un vertige me saisit, je traverse un voile qui se déchire.

Je suis allongé dans mon lit, un fruit brillant dans la main. Je demande à l’infirmière qui entre :

"- Ce sera comment l’hôpital du futur ?

-L’hôpital du futur ? C’est quoi d’abord le futur ?

- Et si mon rêve devenait réel ?

-Chaque rêve se réalise un jour…"

Je lui souris car je sais que demain je sortirai. J’ai vu que sur le cadran de sa montre , il n’y avait aucun chiffre, aucune aiguille et qu’elle porte en pendentif une lune d'argent.

 

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