jeudi 21 octobre 2010

L’escalier aux perles de lumière.

Sur une photographie du site "écritures de lumière" : l'escalator. 

Des voyageurs sans visage qui passent ainsi, devant moi, et ne regardent pas, ne regardent rien… Peut-être, entendent-ils  les pas, les claquements de talons, le brouhaha de la ville. L’escalier : une altitude d’attitudes et de gestes comme une danse oubliée, un mouvement saccadé, coloré. Des corps qui semblent tourner ; chambre d’hôtel : voyage ou départ.

Ne te retourne pas ! Il reste la trace légère du funambule qui était resté là, debout et seul, toute une journée, dans son bel habit de Pierrot blanc, pantomime aux parfums printaniers, longues jambes blanches, nuages arrachés au ciel. Une clarté laiteuse, comme un drap d’hôpital, théâtre ou scène de spectacle… Déambulation. Linceul ou suaire… Et ces taches de joie : violet, jaune, bleu, rouge. Fleurs, frissons ou tic-tac des ombres, mouvance désordonnée. Un bout de rêve aux ombres grises et violettes ;  porte ouverte, vite, se faufiler.

Des mosaïques, pour une chapelle ordinaire d’un jour quotidien, les anges s’ennuient, tanguent entre les volutes éblouissantes. Il manque le « chante-vent », léger, bruissant devant les fenêtres du restaurant qui se situe à gauche de  la station de métro. Marcher sur ces lactescentes dalles, de l’eau peut-être ou un merveilleux miroir ? Le silence d’Alice endormie dans la chambre où tombe son livre.

Les couloirs du métro, un dédale, une pieuvre luminescente qui s’étire sous la terre grondante.  L’une de ces femmes s’appelle peut-être Ariane. Ou Cassandre. Les songes de Cassandre comme fil d’Ariane… Des corps de femme ronds et neigeux, lunaires et qui déambulent… Bulles de clarté, ballons envolés dans le long couloir peuplé d’ombres pressées ; Vite, vite, la rame arrive, vite, vite, le temps passe, je suis en retard, je vais rater la correspondance. Vite, vite, avale ton petit-déjeuner, lave-toi, lève-toi, vite, vite… Un, deux, trois, je saute dans la flaque de lumière. J’entre dans un autre monde. Le pays des magies. Marie Poppins, où as-tu caché ton parapluie ?! J’aime cette féerie, je descends l’escalier, je suis écartelée par les couleurs presque trop violentes et je disparais : la nappe brillante m’engloutit.

Je marche, traverse un jardin de violettes et de cerises, sous une paisible alcôve d’arbres feuillus. Des buissons et des pierres épousent leurs formes, s’enlacent dans le jour naissant. Une fleur jaune géante apparaît, elle tourbillonne, voilà qu’elle devient femme….

Là-bas, la terre est emplie de pleurs, de cris et de larmes. Dans le secret des poussières. Mémoire vacillante des peuples. Nous marchons sur les pas des autres. La terre est lourde de joies et de rires aussi… Y a-t-il une image sans image ? Où le blanc et le noir se sont tellement imprégnés l’un de l’autre qu’il n’en demeure que l’incisive lumière ? Une autre révélation.  Une épiphanie : Véra Icona, traces  sur le linge blanc des noces antiques, page blanche du condamné, linge des moniales, et l’empreinte sur la pierre, la main dessinée. Mémoire ou symbole ? Silence dans le silence des grottes. Le visage perdu à rechercher dans tous les visages. Le regard ou la beauté du regard perçu il y a si longtemps et que l’on cherche encore… Et toujours.

Ici nous sommes dans une grotte contemporaine. Les amants et les manants passent cette porte banale, fuient ou courent le long de l’escalier, d’avant en arrière, toujours plus vite, s’enfuir sur les marches de cette marelle sans case. Maintenant, on dirait qu’il y a un ralenti, un arrêt dans le mouvement, presqu’un silence, un mystère.

Il ne reste qu’un nimbe diapré là où la nymphe a joué. Lentement, la brume d’été se disperse. Les paroles s’estompent. J’entends un rire léger et parmi les voiles, tu vois cet Arlequin qui se masque et se cache. Carnaval. Feu d’artifice nocturne. Quelques pétards éclatés, des cendres jonchent le sol.

Une ambiance de manège enchanté. Sans la musique.

Le mur va se déchirer, se vriller. Parfois, face à une peinture ou une photographie, on imagine ce qui se cache derrière le mur, ou derrière l’escalier de pierre. L’autre matin, assise chez le médecin, j’attendais et  je pénétrais peu à peu dans l’image qui représentait un vieil escalier de pierre et un mur moussu. Derrière il y avait la mer, je sentais son hâle, ses odeurs, et le chant des vagues m’imprégnait.

La nuit qu’il faudrait crier, le jour ne va plus nous aider à vivre, ni à grandir ;  comment ne plus avoir peur de ce qui fait si mal ? De ce qui emprisonne ? Un imprudent somnambule traverse le couloir du métro, fort comme l’arbre qui s’effeuille ou fragile, oiseau enfermé dans sa cage… Il cherche et se demande pourquoi la mort est si étrange. La bouche aux lèvres soudées de cendres, lie-de-vin dans le lit de la souffrance. C’est un autre œil qui lit l’espace à la vision : verte frondaison des nuages et des herbes si hautes.

Avant tout, il y avait le foulard rouge, le sac rouge… Ne pas passer : feu rouge.  Tache écarlate qui va, d’image en image, dans le creux des albums photographiques, comme ces bons points oubliés dans le grenier. Cerise croquée, robe tombée au bas du lit. Et la fleur, rouge aussi, « rose envolée ». En prendre les pétales, foisonnants, dans ses paupières – closes – et Lolita qui porte son drapé parme à la Grecque sur ses hanches fauves. Elle s’éloigne… Avant de bouger,    elle regardait, elle attendait. Elle aussi somnambule ou Colombine. Elle pose sa main dans le verbe du temps, tout éclate : grains de grenade pourpre, Perséphone se libère, se rit de toutes choses entrevues.

Réflexion d’un appareil à réflexes. Rolleiflex ; Qui roule et se fige, ardeur des doigts, le jeu flexible et vacillant des ombres et clartés dans la chambre de la belle endormie ; la photographie comme dormante au bois des mémoires partagées.

Des arabesques végétales tourbillonnent, cherchent l’enlacement des plantes sur les aspérités du mur, les ombres ne se faneront jamais. Au pays de la blanche terrasse, la colline si loin, les tasses de café vides sur la table près de la fenêtre entrouverte, le livre encore ouvert… Et les tours du vieux château qui dorment, dorment encore et à jamais dans le repli de mon cœur.

J’aimerais à jamais cette maison blanche frissonnante au matin de Pâques et les chapelets du muguet du premier mai, ces fragrances nouées au scintillement de la marjolaine dans le jardin des replis, des intériorités spontanées. Les oeufs colorés sous les primevères, le lapin qui s’enfuit, juste une patte blanche… Je l’ai vu, le lapin des matins fleuris. D’ailleurs il a perdu sa corbeille devant le noisetier.

Corps d’aurore emmitouflé dans ce sari primevère : annonce de jouvence ; elle portait toujours ce tissu léger, couleur de violette aux pieds des arbres, cet élégant drapé précieux. Femme vivante, végétale, une Eve à la chevelure ondulante, de bord d’eau et de ciel si bleu… Le brillant scintillant dans le creux de sa narine, et le jaune des pommes dans le panier : « les pommes faisaient rouli -roula… Trois pas en avant, trois pas en arrière… » Tant de clarté et de vives couleurs :  un matin ensoleillé aux éclats de vitraux.

Nous portons tous en nous une maison trop blanche dans la fraîcheur du matin, un bol de petit-déjeuner oublié sur la table,    une rame de métro qui nous attend ou que l’on attend, des bruits  et des cris dans la rue et la certitude d’une solitude qui ne nous laisse jamais tranquille… Mais qui nous emporte au-delà de nous-mêmes vers tous ces rêves perdus qui s’éparpillent en toute ville…Petits papiers envolés…

Dans la forêt, je n’ai jamais vu le loup. Mais je sais que lors de  certains équinoxes, il promène une lanterne et chante la complainte  de Lucifer. Blanc, le vin dans le verre de cristal, vapeur de raisin écrasé, foulé dans la claire densité de la cave noueuse. Pied de vigne. « Margot labourait la vigne » dit la chanson ; fruits mûrs foulés et les  pieds nus, comme des îles perdues, fraîcheur et sueur qui flânent sur la chair, pulpe de septembre.

La femme s’est penchée, elle ramasse son ticket,. Quelques gouttes de sang, à son cou brille une licorne d’or.  Je marche lentement, je les suis tous, je ne sais où ils vont, ainsi. Mais je suis étourdie. Il faisait très chaud dans le compartiment du train. Comme en 1976, l’année de l’invasion des coccinelles échappées d’un élevage. Une coccinelle s’est posée sur le sac rouge de l’homme pressé. On la remarque à peine.  Moi je compte les points noirs sur son dos.

Une petite fille saute dans une marelle tracée à la craie rouge : elle chante : « coccinelle, demoiselle du Bon Dieu, réalise mon vœu. »

Mais bientôt chacun se disperse, je reste seule au pied de l’escalier diaphane et mon regard joue avec les perles de lumière.

 

 

 

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