dimanche 17 octobre 2010

La mer en enfance



Des corps sur la plage

Les vagues et l’écume dans leurs regards qui ne nous regardent pas

L’homme contemple au loin. La femme assise tourne la tête.

Leurs ombres se couchent sur le sable.


Fête de l’Ascension

Juin …

 

C’est un jardin de sables et de coquillages, où la moisson des vagues s’engrange dans la mémoire, comme si, là-bas, plus loin, rien n’existait plus. Les enfants courent, pieds nus, dans l’eau froide et vaste, morceau de ciel suspendu entre la ville et la grève.

Sur la digue, quelques promeneurs qui semblent égarés, des traces de pas mouillés sur le ciment où souffle le vent. La porte de la villa est ouverte. Quelques personnes sont assises là, sur le mur de pierres et regardent au loin. D’autres personnes, debout, bavardent…

Alors commença le rite du voyage. Comme un exil , un temps de multiplication de pluies et de contacts, sous un ciel tour à tour profane ou immense.

Les ondulations de l’eau tremblent sur le rivage. L’accent du remous s’imprègne d’un inoffensif clapotis. l’ombre glisse sur les vagues, s’enfonce lentement dans la profondeur de la pélagique vallée. Il ne reste plus qu’un apaisement frémissant de fleurs d’écume.

La tonalité de cette station balnéaire se retrouve sur les images des carnets de voyage, comme une forme arrachée à la terre et au ciel, comme un dessin d’enfant, substance étrangère à ce qui nous entoure quotidiennement.

Toute migration peut être histoire à raconter. Et dans ce moment qui semblait improbable et qui nous habite finalement, nous trouvons la grande ligne bleue de l’horizon. Il faudrait parfois se persuader que le temps nécessaire à la maturation ne sera pas long. Il est si difficile aussi de patienter, de s’ouvrir à la mémoire du vent, du sable, du corps de l’enfant.

Mosaïque de miroirs brisés dans la blanche fraîcheur du jardin. Ils sont assis là, se photographient et parlent. Les seaux de plage s’ourlent d’écume. La mer offre son limon à la fertilité des regards. Il n’y a d’indifférence que sur les visages qui ne sont pas écho. Les saignées de la terre portent en elles le rythme primitif du souvenir et deviennent graphisme.

La mémoire est étrange, striée d’opaques nervures,- semblables aux lignes sur la plage humide,- et elle garde en elle les regards croisés, les grains de sable et les fruits de mer brisés, enlacés aux vagues vagabondes.

Nous sommes arrivés plus tard… sur cette côte opalescente . Avec nous, le souvenir de ce corps rigide, de l’auguste sévérité de la mort que nous venions de quitter. Il fallait maintenant regarder en avant et s’ouvrir, se libérer de ces longues semaines d’agonie. Il fallait transcender ce que nous venions de vivre pour accéder à l’imaginaire du sable, de la plage et à la paisible rumeur de cette ville en bord de mer.

Nous allions comprendre, sentir et toucher la densité du vent. Nous allions nous reposer, de ce repos des dunes en mouvance, de ce repos qui esquisse l’intensité de l’instant.

Nous avions besoin de ce lieu de promenades , de mouvements ; de ces sculptures de sablon et de ces herbes folles, du crépuscule qui n’en finit pas de descendre et des longues aurores parfumées d’ambre marine.

Dans les embruns, dans la pluie ou sous les rayons de soleil, c’est toujours le sable du rivage qui forge notre intériorité. L’enfant referme ses mains sur les dons de la vague, abandonne son petit seau de plage et contemple le ciel.

Le temps se grave mystérieusement sur les coquillages, s’insinue sur les vitres des cafés, et ce, au rythme des marées. Les gens sont assis dans le restaurant, ils mangent, ne voient plus la mer qui s’échevelle et gravit les sommets célestes. Elle devient mégalithique, plombée ou d’ombre dérobée à cette lune Ascensionnelle.

L’enfant s’amuse seul. Il cherche dans les gouttes d’eau les syllabes d’une future aventure et s’arrête, immobile face à l’énigme de la vague ,avant de s’élancer à nouveau pour attraper une mouette farouche.

Aux figures géométriques des blockhaus, dispersés comme des roches éparses, burinées, battues par le sel et les gerbes d’eau ,des personnes accrochent des foulards ou gravent leurs noms.

Les dunes sont longues, où errer et se perdre , parfois courir avec le cerf-volant au- travers des marines éclaboussures, et tracer un chemin qui demain n’existera plus.

La maison aux lumières allumées regarde vers la plage. Ceux qui passent là ne voient qu’un espace indéchiffrable d’escaliers et de portes, comme une échelle suspendue entre quelques murs de chambres.

Des photographes déambulent, appareils à la main ou pendus à leur cou et observent, cherchent, attendent, captant enfin cet instant qui deviendra le leur.

Parfois, pourtant, tout est trop blanc, trop calme : la mer, les vagues, la lumière au loin. J’ai besoin d’une autre clarté, vive, fluide, presqu’ impersonnelle.

Il fait trop chaud aujourd’hui. Sur les dunes, le sable vole pourtant. Il y a toujours du vent à Merlimont. Les enfants construisent un château de sable, s’enfouissent dans un trou creusé profondément et nous ne voyons plus que leurs petites têtes. A la terrasse du café, nous nous sentons si bien et nous rions. Tout devient prétexte à la plénitude.

D’écume salée en terre oubliée, de rivage en espace d’enfance, la mer meurt et renaît sur ses dunes éclatées. Comme un éclat de neige, ou de givre blanc ; comme la courbe d’une paupière, la danse d’une main qui se tend.

Les chairs sont hachurées de sel marin, d’air vif, de cette substance semblable à l’eau de mer et qui laisse son empreinte jusqu’au fond de l’âme.

Des bras, des jambes, des corps se devinent derrière les collines ensablées. C’est ici, un fragment de terre et d’eau, de dunes et de mer, d’ abyssale incandescence. Mouvements de masques, de vêtements, de portes qui se referment, d’ombres qui s’alignent, et de couleurs éclatantes.

Il n’y a plus personne dans la cabine téléphonique mais si tu tends l’oreille, tu entendras mille mots qui s’inscrivent sur ces vitres embuées.

Là où la mer et le sable se courbent, l’enfant est assis dans la barque blonde. La ciselure pâle des eaux presque vertes se marquent sur son corps. Le sable reste humide , travaillé par les ondes salines, léger pourtant pour les mains qui le modèlent. L’œil façonne dans sa chambre obscure l’image qui se lie à la monotone lamentation des vagues.

Ne te retourne pas, il faudra partir avant que ton image, ton château soient terminés. Déjà, s’éloignent les mouettes. La plage se gonfle d’un poids d’enfance incertaine . L’enfant va et vient au long des dunes avec son seau jaune empli d’eau de mer.

Il y a longtemps, j’aimais venir ici, et vivre l’écartement de la digue. Les souvenirs affleurent sur le paysage. Hier et aujourd’hui se mêlent, s’emmêlent. Il n’y a alors plus de lamentation des vagues mais une paix joyeuse et pleine qui transforme ce que je regarde.

Je suis déjà venue ici. J’ai enfin en moi cette certitude de comprendre la fugacité du temps qui me ramène en ces lieux où il peut s’inverser, comme un gigantesque sablier que quelqu’un aurait retourné.

Les vagues glissent, s’enfantent l’une l’autre. Le rythme de la plage où s’éparpille les grains de sable s’imprime dans mes yeux. Le navire de l’imaginaire s’éloigne au long des flots. Je tisse une autre patience avec sur la langue le goût du sel.

La plage est minérale, lavée. Proche et lointaine. Je marche et j’écoute le chant des coraux, je m’arrête devant le squelette d’un crabe et je ramasse une plume d’oiseau des mers. Les tiges fermes des oyas s’unissent aux tiges de mes silences, et il n’y a plus rien au-delà des monts de sable, plus rien au-delà de la mer, plus rien au-delà des cimes nuageuses, plus rien qu’une île d’enfance, perdue il y a longtemps et qui resplendit en un rêve de jardin marin, où toute chose sommeille dans l’immanente chaleur.

Merci à Athéna pour cette photo.

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