dimanche 7 novembre 2010

Ce soir sera une autre nuit.



8h30, j’arrive, et déjà une sonnette, les infirmières disent que ça sonne déjà depuis 20 minutes… Mais elles n’en peuvent plus, elles sont en pause, l’aide-soignante devrait répondre… Mais où est elle donc passée ? elle a fait de l’ordinateur tout à l’heure et on ne l’a plus vu… Il semble qu’il y ait un malaise ! Un gros malaise, pas d'entente dans cette équipe là ! 
Commence le début des transmissions, encore 2 sonnettes, ma collègue est déjà partie, elle est épuisée, elle a trop couru cette après-midi…. Je réponds aux sonnettes,    oups !  je loupe trois transmissions, je reprends en cours.
Maintenant, c’est la  préparation des chariots IDE et AS et toute la nuit, nous répondrons aux sonnettes, nous mettrons et enlèverons des bassins, nous conduirons des patients au WC, nous retournerons à leurs coups de   sonnette pour les remettre dans leur lit ; ce sera peut-être aussi un fauteuil percé,   nous viderons les urinaux toute la nuit… L’IDE fera ses prises de sang,   ses examens prévus, il pourra y avoir ablation ou pose de sonde vésicale, pose de perfusion, change de perfusion, changement de pansement, etc.… Zut ! une veinite, vite un pansement américain ; ce patient a trop de fièvre : vessie de glace, bon alors là, il manque un pot à diurèse… Tu cours à l’autre bout du service… Bon, ce change n’a pas été fait au tour du soir, vu l’état du patient,  ça nous semble improbable… Mais on ne dira rien, le doute est là, et peut-être qu’il était impossible de le faire ; celui qui prend le relais prend tout à la fois et fait ce qui doit être fait, de toute façon, nous n’avons pas le choix.
Le lave bassin est encore en panne ! Il faudra faire encore plus de chemin… Voir dans l’autre couloir du service…  J’y arrive, avec mon bassin à la main, oh ! Joli ! 6 bassins sales en attente, deux pots à diurèse « en panne » également… Merci l’équipe d’après-midi.
Quelques perfusions à remettre en route, zut ! Elles devraient être terminées depuis longtemps… Bref. Les adaptables ne sont pas nets, les lits sont à refaire pour la plupart, des plateaux-repas oubliés, à  enlever.  Il est à comprendre et à admettre impérativement que d’équipe en équipe nous prenons la suite de l’autre tout  en acceptant  ce que l’on trouvera de bien comme de mal ; chacun gère son temps de service comme il le peut, avec tous les aléas qui peuvent survenir, ou aussi comme il le veut, avec sa psychologie, sa fatigue, son goût ou son dégoût…
Minuit, encore un couloir à faire, à arpenter plutôt. Voilà, nous arrivons, poussant nos deux chariots, plus le chariot à diurèse, plus le tensiomètre… La dame du 4, Alzheimer, crie «  oh ! petite, tu as vu, ils nous ont emprisonnés dans des lits  à barreaux ! Ah ! Madame, Madame ! Vite venez ! madammmmmmmmme ! Au secours ! Il y a des milliers de souris à la queue leu leu ! Vite ! »  Le patient du 3 très perturbé erre dans le couloir, la  couche en bas des pieds, nu, dépiqué, du sang et des selles parsemés, éparpillés,   sur son corps, sur le sol et la chambre est à nettoyer évidemment ! Auparavant, il a visité la chambre d’un malade qui a eu très peur !
Entre temps, le téléphone sonne, une entrée arrive. Vite aller installer la chambre, la planche à transfert, le lit, la bouteille d’eau, le verre, le classeur…
Nous poursuivons notre tour : tensions, saturations, températures, changes, frictions ;  parler, rassurer, écouter. La dame continue de hurler , sa voisine n’en peut plus ; elle aimerait changer de chambre, impossible, le service est plein.
Téléphone, c’est le brancard à aller chercher à l’accueil, me voilà partie.
J’ai de la chance, cette fois ci, la patiente est jeune, agréable et non agitée ; ce qui est plus facile pour revenir avec le brancard, les bagages  y sont accrochés ;  et ce n’est pas trop lourd à pousser, les ascenseurs ne sont pas   pratiques,   les couloirs sont bien longs, d’autant plus que la nuit, tout prend d’autres proportions.
Encore : coup de sonnette, ah ! voilà tout, le patient a encore renversé son urinal.
1 heure du mat, on souffle, on se pose enfin, quelques minutes de répit. 1heure 10, sonnette, Monsieur B.  a faim… « Juste un petit bol de soupe » mais bon, c’est sympa, s’il vous plaît, merci, ça fait bien plaisir, car cela devient rare, je vous assure que c’est vrai…
Nous surveillons mamie Simone, elle est en fin de vie, elle semble déjà être bien loin… Au tour de 2 heures, elle est  marbrée… Au tour de  quatre heures, on la retrouvera décédée, une odeur de gâteau flotte autour de son corps, c’est assez rare, mais il arrive parfois que les personnes mortes dégagent un parfum agréable. Toujours cette tristesse d’une mort solitaire, nous sommes venus plusieurs fois, nous lui avons parlé, tenu la main, mais nous ne sommes pas sa famille. Personne ne viendra la voir, à 6 heures, elle sera  transférée à la morgue. Je serai allée chercher le brancard, les clefs, etc.…
3 heures du mat, une jeune dame atteinte d’un cancer réclame son petit massage, elle n’arrive plus à dormir, elle parle, elle raconte sa vie, je lui amène une tisane chaude, ça lui rappelle ses vacances dans le Vaucluse.
Zut ! Le patient du 13 est en delirium, vite, laisser tomber les classeurs, heureusement que nous sommes dans le coin, sinon on ne l’aurait pas entendu.
La pause repas est bienvenue, un bon thé au jasmin qui réchauffe, redonne de l’énergie, on parle un peu, à 4 ;  chacun mange un petit repas : celui ci sa « gamelle maison », celle ci un bout de pain, celui-là un yaourt, dans la minuscule salle de détente. On ne voit rien dehors, on ne voit que des murs  blancs, des portes à hublots, on se croirait dans un bateau…! « c’est plutôt par moments  une galère ! On entend le vent souffler, « Les Hauts de Hurlevent…Non, « les hauts de Hurlemalades »
Bientôt, 4 h 30, le dernier tour se profile à l’horizon, ainsi que les toilettes du matin, patients à préparer pour les départs en examen, diurèse à relever, pots à remplacer, pots à laver, avec un seul lave- bassin, pas la joie ! Dextros, températures, etc.  Première toilette : 5h30, deuxième 6h. Les jours sans toilettes de patients ou avec une seule toilette,  on aime bien ! Tout de même !  Nous sommes  moins stressés avec le temps à régler pour chaque activité, il suffit d’un contre- temps, comme cette nuit où nous avons deux malades particulièrement énervés et délirants : les pieds hors du lit, prêt à sauter, où déjà parti en cavale… La perfusion pendante, le lit souillé, etc.… Et ce, à chaque tour. Alors, je me dis que  réveiller un patient à 5 heures 30 pour une toilette c'est désolant mais que réveiller les patients à 4 heures 30 pour les tours de change c'est aussi bien ennuyeux d'autant plus, qu'à l'hôpital, les patients dorment mal. Les lits sont étroits, inconfortables ; ce n'est pas un hôtel évidemment. Ca ne donne pas envie de rester et tant mieux ! Mais parfois on se dit que le patient a peur de partir, de se retrouver seul dans la vie face aux autres et face à sa maladie. Il est allé à l'hôpital et  il en sort  différent ; il  a vécu une étape que même les amis proches ou les aimés ne peuvent vraiment comprendre. Il a vécu, vu, entendu des choses que les gens de l'extérieur ne connaissent pas. Cette mémoire indélébile inscrite en lui, le patient va vivre... Il lui faudra parfois se reconstruire, redéfinir son existence, ses projets.
Fin de la nuit : l’infirmier fait son tour, ses prises de sang, et,  ensuite, pour lui,  ce sera la préparation du tour du matin, chariot nettoyé, chargé à nouveau, prêt pour la relève qui arrive…
L’aide-soignant termine,  donne petits-déjeuners si besoin est ; change les sacs-poubelles pleins, vide les sacs de linges sales  et les poubelles, prépare le chariot pour le matin, vérifie ses transmissions…
 6h45, l'AS participe aux transmissions communes, répond encore aux sonnettes pour que l’équipe du matin puisse écouter … Quitte parfois le servie à 7 heures 30...
Aujourd’hui, nous n’avons pas entendu les oiseaux chanter à 4 heures… D'ailleurs, dans ce nouvel établissement, nous ne les entendons plus. Je me dis qu'un patient bien oxygéné dans une chambre aérée c'est mieux mais certaines fenêtres ne s'ouvrent plus ! Dommage. Lorsqu'un patient  a  mal à la tête dans un air vicié ce sera bien un courant d'air frais ! Avant, nous voyions le lever ou le coucher de soleil, des arbres, les oiseaux rythmaient le petit matin. Maintenant, plus rien de tout cela et ça joue sur le moral des troupes ; certains patients n'aiment pas ce nouveau service ; il est impossible de ne pas comparer. 
La nature est stimulante :  voir des arbre, entendre des oiseaux chanter, écouter une fontaine,   tout ceci contribue au bien -être du patient ; dans un service construit en rond autour d'un lieu de verdure, il devrait y avoir possibilité d'aménager une ou deux portes fenêtres afin de  permettre au malade d'aller faire un petit tour de jardin. Eh ! Oui ! J'entends déjà " ah la terre, ça donne des microbes ! " Et je ris car je pense à tous ces microbes que l'on balade sur nous : chaussures des visiteurs, par exemple,  qui déambulent dans les couloirs, les "ennemis" manuportés, les microbes fixés sur les "pierres précieuses " bagues et autres bijoux, microbes sur les cheveux, etc... 
Bref, parfois je rêve d'un service construit sur le modèle des anciens monastères ; petites cellules aérées autour de la cour carrée, la fontaine, le déambulatoire, les quatre jardins : verger, plantes médicinales, potager, jardin ornemental. Quelques herbes pour les  maux de tête, pour les tisanes fraîches, pour une inhalation... Une salle avec des coussins pour des séances de relaxation, de sophrologie. Une salle de musique, pourquoi pas... Et même des séances de cinéma...  
Rêvons encore plus : une salle avec distributeurs de boissons pour un temps hors de la chambre ; se rencontrer, partager entre patients afin d'instaurer la   lutte contre l' "individualisme", contre le fait que "moi je souffre et les autres je men moque" ... 
Le luxe !!! Tout ça ! On est loin de l'hôpital public de "Corps et âmes " de Maxence Van der Meersh et "la dame à la lampe" ! Mais j'en suis pas certaine...
Et l'on vous dira que ça ne sert à rien ! Que l'utopie c'est "débile" et que beaucoup de malades le méritent pas d'abord !!! Et qu'avec tout ce que l'on a déjà à faire et à nettoyer, alors là, ce serait  le comble de devoir en plus gérer tout ça... 
Mais Chut ! 
 7h15,  ou bien 8 heures, ou 9 heures pour ceux qui habitent loin et qui ont encore de la route, c’est le repos qui commence... Ce soir sera une autre nuit.

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