jeudi 19 septembre 2013

Le jardin des enfances



Dans le jardin des enfances, les étoiles sont autant de cailloux phosphorescents. Le loup s'est enfui, emportant la clarté avec lui. Des graffitis rouges : arabesques funambules, sont inscrits au centre du mur. Sur la corde tendue entre deux arbres, sèchent les images du voyage. Les souvenirs sont des graphismes d'enfants sur des papiers transparents, pliés en quatre et cachés dans des boîtes en bois. La mémoire est étrange : illunée, striée d'opaques nervures. des visages dont on a oublié les prénoms, des paysages qui appartiennent à l'imaginaire, des rivages sans mouette, des comptines sans mélodie.

Là-bas, la Venise végétale d'un songe mûrissant, l'image d'une ville engloutie sous les eaux du large espace, un escalier de pierre percé de lucarnes. Là-bas ; le craquement de la lagune, des nuages d'entailles  lourdes sur l'horizon d'une multitude errante, le chant d'un ange sylvestre ou l'île des fortunes perdues.

Ici, des soldats ivres dans la ville bombardée. Une petite fille seule. Elle a froid. Elle a peur. Mais voici que des empreintes de soleil, de nuages et de fleurs recouvrent la nudité de son corps.

Plus loin, les seaux de plage s'ourlent d'écume, en un silence de sable et de coquillages et les enfants ont dans leurs yeux tout le bleu du ciel suspendu entre la grève et la mer. 

Juste, un peu de langueur, de cette ombre qui abrite trop de chaleur. Juste une longue pause, un silence sourd et muet qui nous écartèle. Juste enfin, un apaisement de chat roulé en boule, sous la mosaïque cyane. 
Dans le jardin des jeux ininterrompus, l'enfant sculpte les gravures de lumière : les feuilles des arbres qui tombent, la vitre embuée, le drap qui frissonne, le poisson mort qui rêve sur la plage, la rose gelée sur sa tige froide...
Nos fugitives errances habiteront toujours dans la cadence de l'attente. L'éclat lumineux se ploie en d'impénétrables mégalithes, se dérobe à l'appel du regard. Nous devons apprendre à nous taire, à écouter l'immobile qui habite la matière. Ne plus rien dire. Et aussi, peut-être, ne plus voir, pour que l'insondable fragment du temps qui passe ne nous lacère plus. Renouveler le chant des empreintes argentiques, par cette intelligence lointaine et primitive qui tresse les chevelures fragiles des sirènes, et dans les ondées de brume et de lilas blanc, trouver l'oeil de la lande.
Le dragon perdu ne se cache pas dans le coeur de la fleur mais dans la grotte de notre passé. Nous devons sans fin le dompter, le chevaucher, découvrir en lui son autre visage : celui du cheval blanc ailé qui nous emporte vers la Castalienne image. 



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