mercredi 4 juin 2014

"Zones d'incertitude". Une exposition au centre d'art Frontière$ / Hellemmes












C’était un jour pluvieux, j’étais donc venu dans ce quartier de Lille- Hellemmes,  où j’ai vécu il y a de cela de bien nombreuses années. Rien n’a vraiment changé depuis mais n’est ce pas souvent ce que l’on se dit alors que d’infimes choses ne sont plus les mêmes ? J’entrais alors dans la "contrée des métamorphoses" appelée :  "Zones d’incertitude".  Un très bel espace, étendue centrée entre ombre et lumière, et sur les murs, des images comme des miroirs, des masques ou des reflets. Ce qui importe, c’est de laisser venir en soi les fragments des étrangères pensées. Où est la mer ? Où est le ciel ? C’est d’ici, derrière le rideau, que vient le clapotis des pieds dans l’eau. Encore et encore, marcher sur le sable mouillé, se perdre dans les flaques des vagues. Vagues de nuages quand, là bas, l’ enfance réinterprète le chant de l’eau.
Une île au loin, serait ce  un mont de terre ou cette « terreenmer » qui nous attend, lieu conçu pour s’éloigner, s’enfermer, se terrer ;  s’ouvrir et se refermer encore. Où sont les huitres laiteuses ? Je vois des cicatrices marines et des éclats nuageux,  en un incessant mouvement répétitif qui hypnotise, lancinance qui emporte :  presqu’un mal de mer. Ce rythme  balance le corps en une danse d’ondes, d’iode, d’algues brunes et de goélands.
J’aimerai que la jeune femme à la couverture s’enfuit sur la plage mouillée ; le coyote ne pourrait la rejoindre, jamais. Descendre dans la fosse aux lions, c’est comme croiser les coyotes. Porter la couverture rouge telle une robe de bal, je crois que c’est  juste adapté à la poupée dans la vitrine d'un magasin de jouet ou qui sommeille au recoin désolé du grenier. Marie de Magdala portait un vêtement d’écarlate lorsqu’elle brisa son amphore emplie de parfums précieux. Porter cette teinte sur soi, c’est tout à la fois, le rouge au front, une euphorie fleurie,  une apothéose d’incendies, un éclat de rire. Toutes ces vies qui nous couvrent, nous recouvrent : langues de sable, trous dans la terre, creux des vagues, couvertures qui nous étouffent et sont si  lourdes, si intenses ; toutes ces vies qui se superposent pourraient conserver en elles une odeur de coquillages, devraient préserver une fragrance de jardin qui se réveille, mais elles sont surtout imprégnées d’une chaleur embarrassante.
Ce corps féminin que je regarde maintenant est costumé de viandes rouges, comme de pourpre et de garance,  il  dort ; nu, enveloppé de cette chair  vermeille,  tendre ; le loup pourrait vouloir manger cette belle fille au regard sans émotion, dépersonnalisé. Mais il n’y a pas de loup et surtout il n'y a aucune odeur alléchante. Les loups sont morts et ils aimaient sentir la chair tendre, ce ne sont que des ogres déguisés. 
Du scotch sur les yeux, sur la bouche, sur la peau tendue,des lambeaux de papier transparent collé ! Pourquoi ne pas vouloir voir ? Pourquoi se taire ? Ne plus bouger :  en une attitude figée, sans expression, devenir le monstre.
La mort rode encore dans ce crâne aux vers de sang comme une tête de Christ à la couronne d’épines ensanglantées. Le rouge et le noir, tête rubis sur fond sombre, un feu dans la nuit ; la lanterne incarnat des courtisanes au cœur de la nuit de Chine. Marie était elle courtisane ? Cette fille s’appelle t’elle Marie ? Ces cheveux ne seraient qu'une perruque pour un carnaval dans les ruelles d'une Venise éphémère ?
Sur le mur, tout au fond, une longue toile de mémoires et de rêves, gravure composée d’instants fugitifs, j’aimerai noter quelques moments offerts par la vie et ainsi pouvoir dévoiler ce qui stigmatise et ce qui libère, ce qui est résilience. Des lambeaux d’étoffes colorées, des bouts de couvertures, des morceaux de ciel, des vagues libellées ; tout ceci, le voir, l'approfondir  pour le noter, l’inscrire ; une correspondance entre deux mondes, lire/écrire à la périphérie de tout.
Et je  m’interroge ;  si ce sang qui coule et s’opacifie, c’était encore malgré tout le sang de l’enfantement ou le sang d’une blessure ? La femme attend, assise, indolente quand plus loin, l’horizon file, défile en une homogène confession striée de stigmates.  Tout se ressemble toujours, croit t’on. Il faudrait oublier d’être submergé en s’enlisant dans cet aquarium : c’est un rituel de plongeon. Ce fond liquide et bleu identique à une averse mais surtout,  ne pas se noyer dans ce passage humide où le niveau de l’eau monte et descend, rappelant le paysage empli de clarté blotti dans la chambre claire. Il pleut ; l’eau tombe encore et encore ; l’eau pleure sur les chairs ouvertes alors qu’un homme grimpe sur le tronc de l’arbre, à l’horizontal sur le  vertical : La croix du cœur est au centre.
Voici que s’amoncellent des lambeaux de brouillard. Quelques fantômes dansent lentement derrière le plexi translucide, des gens sont là qui regardent et observent, ils passent derrière le voile, mais il n’y a qu’une lampe et tout est caché.
Tu vois, ces cheveux qui poussent, qui continuent de grandir comme nos ongles,  même lorsque l’on est mort, c’est ainsi la  persistance du moi qui se fragmente une nouvelle fois.
L’obscurité enveloppe le crâne de crins de chevaux, si blonds. Blond soleil jaune tournesol, juste la trace d’une route ;  ce serait un chemin possible ; le sceau d’un cancer ou la trace d’une maladie nucléaire. L’empreinte qui peut nous marquer tous un jour.
C’est une main recroquevillée qui porte le sang des souffrances, les tient si près de sa tête, un malaise vrillé à la peau. Il pleut ; il y a  un souffle de rire dans "ceci qui n’est pas cela" écrivait l'artiste,  et qui déforme le réel. On pense aux cheveux de la Gorgone, bienheureux sommes nous de ne pas voir les yeux de cette créature ; ici, les serpents  sont terriblement  vermillons…
La voie est démontrée par une main déjà couverte de sang. Allume la lampe rouge du studio, montre moi les images. "Je suis sage, j’aurai une image", pense la fillette aux chaussures couleur de cerises et d’étés.
Ce sont des vers luisants qui grouillent, s’agrippent à mon regard,  des feux d’artifice flamboyants ; une flambée de coquelicots, de tulipes. Pigments broyés d’ocre et de maison close, feu stop : alerte, il faudrait s’arrêter, arrêter le sang du sacrifice.
Nous traverserons la mer de Moïse, elle brille dans nos têtes. Brûle, sois intouchable !  Les premiers morts étaient enterrés dans l’ocre rouge :  terre des immortalités mais, là, dans le lieu clos,  la vie quitte le corps de la femme qui ne regarde rien ; le sang va encore continuer de couler ; sa chair, de la quitter.  Son regard devient de plus en plus vide.
Trois blocs de béton : c’était une maison ; une petite maison qui ne sera pas visible encore longtemps. Le nuage rejoint l’échelle de la mer. L’image est prise et la maison demeure, autoportrait et déjà, l’entrée dans  un autre apaisement scandé par les pieds qui marchent dans les flaques de la mer.
trois trous dans un désert, rien d’autre que cet abandon :  un Doël sans graffitis.
Une argile de mémentos, d’oublis et de pertes. Là bas, pourtant, ce si paisible paysage presqu’évanoui s’étend vers une sente végétale ; il permet de marcher jusqu’à la limite de soi même ; l’on aimerait y transporter cette pauvre maison délabrée.

la première étape sur l’échelle sera de marcher sur la tête du dragon, allant de la terre au ciel ; le ciel est sur la mer. La mer est sur la terre. Encore  une fois, entrer dans un intervalle qui n’est pas vraiment un repos mais qui est constitué de sable crissant et de coquillages brisés.
A l’infini des autres « soi même », ce serait moi : un autre "je" qui joue dans  la zone des écorchures. Les pigeons s’envolent sur la route éclaboussée de voitures.
Ne pas verser le sang de l’autre, mais voir et regarder le tien, ton sang, le voir couler comme un don possible ; donner son sang, recevoir le sang. Le corps est un calice. Ceci est mon corps, j’inscris en lettres de terre sur le parchemin gris et noir toutes ces solitudes qui se souviennent et j’arpente le golfe inondé. Si tout à coup la mer montait, nous resterions prisonniers, corps aux masques d’engloutis.
Cache toi dans le visage muet,  caches toi dans la couverture, Beuys va frapper avec sa canne et moi, j’ouvrirai ces si longs rideaux, chevelure de lys d’une dame blanche,  ils occultent le jardin, m’empêchent de regarder dehors. Cela me semble être une chambre funéraire blanche, la chambre d’une Piéta, d’aube lassante. Que se passe t’il derrière cette fenêtre si vierge ? Voile blanc de noces, d’une Cana ensevelie ou d’une femme enlacée aux herbes de l’onde, l’Ondine parcourue de frissons.
L’ eau pâle, les traces blanchâtres sur les écrits du temps qui s’enroule,  cette  chemise immaculée, cette main trop claire ; ces cheveux blonds, presque exsangues, ces trouées d’espaces de non couleur, ces nuances crayeuses nous encerclent, tracent la frontière entre le visible et l’invisible. Le corps sortait du tombeau blanc, enveloppé d’un linceul. C’était le voyage de l’albinos sur la lune livide. Ou la présence de l’ange devant la pierre roulée. Quand j’entrerai dans le sanctuaire crépusculaire, en ce moment où le monstre perdra son identité, je me poserai cette question : où sont les oiseaux et les écureuils ? Où sont les enfants qui rient et les filles des rois ?
Il n’y a pas de gerbes de fumée, ni de vieille femme édentée ; il n’y a plus de monstre, ni de figure striée de ruban scotch, ici, la géométrie est palpable, comme une maison attentive, pourtant, tout est en substance encore, en devenir,  à la limite des invisibles rêveries humaines ; les gens qui parlent font un bruit de pluie, de flic flac et clic et clac ; 1, 2, 3, soleil, que s’ouvre la rose rouge mais ici, point de miroirs et point de fleurs ; des murs blancs et des lumières indirectes.
Un bel interstice au centre de la foule, où rien ne s’immobilise :  lieu des degrés de la Némésis. Je voudrai pourtant voir un rayon d’or ou une abeille, entendre le chant d’un canari vert, caresser un chat roux. La nef de Noé a fendu les flots, on dit que l’eau peut être verte ou si bleue.
C’est une histoire de genèse, il faudrait  gravir les barreaux de l’ échelle qui relie le ciel et la terre, c’est cela peut-être : abolir toutes discriminations, savoir monter et savoir descendre, aller du bas vers le haut et de haut en bas, perdre sa balle en or dans le fond de l’eau, faire confiance au vert batracien et pour atteindre le barreau maître, il faut vraiment qu’il fasse très beau ;  c’est la grenouille qui le fait le mieux, surtout la grenouille des contes.
Véronique Guerrin

3 commentaires:

  1. Bonjour,
    Je ne sais pas comment vous contacter autrement et j'espère que mon commentaire sera lu.
    Je suis étudiante en art et je suis en plein travail sur la notion d'incertitude. Vos textes et l'image me serviraient de références pour mon projet. Acceptez-vous que je les utilise s'il vous plait ?

    Merci et bonne journée

    Ambre

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  2. Bonjour Ambre, je suis étonnée et ravie, il n'y a pas de souci, vous pouvez les utiliser. A savoir que c'était sur une exposition du Centre d'Art "Frontières" à Hellemmes. Etes-vous de la région Nord ? Je vous laisse mon émail : veronikguerrin@gmail.com. /Bon courage pour votre travail.

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  3. Désolée pour ce retard.Je n'étais pas allée sur ma boite Yahoo.

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