lundi 11 octobre 2010

Les poissons d'argent




J’étais venue dans la vieille maison close au bord de la route où personne ne passait plus jamais, j’étais venue, depuis ce temps si lointain, inconnu de moi même, ce temps d' il y a si longtemps, et j’avais tout oublié. Hier devenait maintenant plus proche que cette fleur du verger que je regardais , j’étais revenue dans la vieille maison aux hortensias bleues. La porte de la cuisine était entrouverte mais aucune odeur de pot au feu, ni de bouillon de légumes frais. Un étrange parfum de sépulcre et de poussière. Dans le jardin que je venais de traverser, aucune fleur, la porte grinçait, je forçais pour l’ouvrir entièrement et entrer. Sur la balançoire, une fillette transparente, blonde et blanche comme l’écume des vagues ; à ses pieds, de l’herbe rase, écrasée. J’entrais dans la cuisine d’antan, j’avais le sentiment de pénétrer dans un sanctuaire. Plus rien ne semblait avoir bougé depuis le dernier jour où je m’étais arrêtée ici.
La fenêtre est ouverte, de longues herbes la tiennent captive. Pas de feu, pas de lampe allumée, les chaises sont rangées autour de la table. Je traverse la pièce vide aux meubles morts. J’entre dans la chambre, il n’y a pas de porte, juste une tenture pourpre qui sert de cloison. Le lit me fait face. Sur la table de chevet, les deux chandeliers brillent d’une petite lueur tremblotante. La croix ramenée de Pologne se dresse entre eux, le calice est vide. Personne n’est couché dans le lit. Au-dessus de la couche, à la tête du lit, un grand cadre qui représente l’enfant Jésus et ses parents à Nazareth. Une porte à ma droite, qui m’est inconnue ; lorsque j’étais enfant, elle n’existait pas. Curieuse, je m’avance, la voici qui s’ouvre lentement… Je glisse un œil, la vieille dame est assise là, dans un beau jardin de marjolaine et de thyms, de myrte et de romarin. Elle tricote en chantant une complainte lente de son pays.
« Comme se sont enfuies les minutes de la vie,
Comme passe si vite le temps,
Dans un an, dans un jour, dans une minute, nous nous reverrons tous… »
C’est une autre chambre, enfouie dans la mousse de mes souvenirs, pas de bruits, pas d’odeurs. Plus loin, pas d’enfant non plus qui pleure dans le cellier des pommes de terre et dont les pieds roulent, roulent sur le tas de tubercules qui s’effondre sous son poids. Pas de sang qui s’écoule sur les draps blancs, pas de femme qui porte une bassine d’eau fumante, pas de cris. Je m’assieds quelques minutes dans la buanderie aux longues vitres qui regardent le couloir. Des ombres y demeurent, qui tournent et tournent. A l’intérieur du bahut aux parfums d’automne et de neige, je n’ai retrouvé aucune des assiettes fleuries, aucun verre de cristal.
Là-bas, c’était ma chambre, la chambre bleue qui se mirait dans le jeu du saule-pleureur. L’arbre fut abattu. La chambre est fermée à jamais. Je suis sortie, j’ai attendu dans l’allée des plantes folles et sauvages que le petit Daniel vienne jouer avec moi, comme avant,  mais il n’est pas venu. Il vit trop loin d’ici, dans cet autre jardin de mémoire où je ne suis pas encore partie. La maison où il vivait est une ruine maintenant. Au cœur de la nuit, des fruits rouges : cerises-lucioles des instants gais de jadis et qui imitent le feu d’artifice des jours de fête foraine. Je suis venue de là où se lève le soleil, il fera beau aujourd’hui, tu n’auras plus jamais froid.
Dans la longue et vétuste maison endormie, il m’est si difficile d’entrer dans les chambres qui donnent sur la route. Elles sont froides et opaques, je vois deux lits de fillettes, une étagère, un tissu qui sépare les deux pièces, qui bouge au rythme de l’air, c’est un lieu de pénombre et d’agonie, de peur et de lambeaux.
Un vieil air de musique insipide suinte des pierres, les livres qu’alors je lisais sont ouverts à la dernière page. Les paragraphes se superposent ; les lettres des mots deviennent sable et flammes. Les hortensias bleus et le romarin sont fiers et beaux, je les regarde par la fenêtre.
Une nuée de miel plane sur la mer aux bateaux amarrés, il n’a pas encore plu, peut-être n’y aura t’il pas de pluie. La déchirure des rochers se renverse vers le couchant, l’étonnante vague s’allonge, confiante, sur le sable mou. Je ne trouve pas beaucoup de coquillages.
Les hirondelles voletaient légères et hautes dans le ciel, ce matin, la brume d’été s’estompait au loin, un camion de grumes coupés hier dans la forêt passait rapidement sur la route. Le chien de l’ébéniste aboie encore, il devait rêver de lapins cette nuit car il a hurlé plusieurs fois, cela m’a réveillée. Le balancier de cuivre : tic-tac, rompt le pain du silence, il appesantit l’espace de la respiration, pourquoi mesurer le temps qui passe avec un instrument qui fait du bruit ?
Les champs de maïs au bruissement désaltérant environnent la maison. Une année est passée déjà. Voilà sept ans aussi, la première fois. La mer est toujours aussi belle, forte et grave, comme une épousée d’antan dans la chambre des noces. Je lève les yeux du livre que je lis, une voiture blanche passe devant la fenêtre, elle roule assez vite, le volet claque à l’étage, il faudra que j’aille le rabattre.
Je rêvais cette nuit encore de la demeure ancienne, au-dessus d’elle planait un grand dragon qui étendait son ombre, puis la maison prenait feu, les flammes l’environnent, 1939, je vois l’époque inscrite en lettres enflammées sur le sol. Sur la route de Kéricun, deux faons voulaient traverser la chaussée, ils se sont arrêtés, m’ont regardés et se sont enfuis vers le bois de Gommenec’h.
Chez le brocanteur j’ai trouvé et acheté un album de voyage d’un médecin anglais. C’est là que je retrouve la demeure dont j’ai toujours rêvé, comment cela est il possible ?
J’ai rêvé que sous des feuilles d’automne se cachait une tortue géante, je la délivrais puis, je la laissais vivre dans mon jardin. La veille, j’avais rencontré pendant mon sommeil les ombres errantes d’une femme morte qui désirait sans cesse revenir à la vie ; elle me suivait de son regard, allongée dans son cercueil, elle se blottissait parmi mes vêtements dans ma garde-robe, elle s’insinuait dans ma vie, dans mon lit comme une mouvante et éternelle sorcière…
C’est une si vieille plage comme une terre de sable, de coquillages, de fossiles, j’aime à m’y perdre. Les écueils et les algues, les tracteurs qui reviennent prendre les bateaux de pêche. Une odeur de gazoil et de poissons, le rire des enfants, les demeures hautaines qui dérivent le long du rivage. Une rive emplie d’âge, promesse d’éternité. J’aimais « les poissonnets » petite maison de pêcheurs au jardin foisonnant, au potager riche et fertile.

Les petits poissons d'argent dorment dans la bassine de métal. Sur le feu chante la bouilloire. Un parfum de café chaud, la porte est entrouverte. le chat se lance dans les feuilles dorées, cherche à les attraper. le vent se lève, souffle plus fort. L'érable devient rouge.

Une fillette, un arc d'or dans les bras traverse la forêt. Sa robe est blanche. Elle cache trois noisettes dans sa poche. Je prends ces noisettes, je les cache dans la boule de sable. Les enfants ont passé des instants de rire et de soleil, au bord de la mer, à lisser cette sphère, qui ne tournera qu'au fond de l'eau. Pour la joie des yeux ronds des poissons, boule roule et s'enroule, pomme ronde, jeu de sables et d'écumes, l'été est perdu sur la rive, enseveli, la marée monte encore, grande marée, l'automne s'endort dans un nid d'images.


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